jeudi 9 juin 2016

JEU 18 : "L'adieu au zéphyr"

  

 
 
A peine passés le brouhaha du débarquement et l’héberluement des premiers pas sur le quai, un je-ne-sais-quoi désappointe le visiteur de cette ville étrangère : pas le dépaysement ou l’exotisme des lieux, au contraire, leur familiarité. Bien sûr, la lumière, les maisons et les rues différent de celles qu’on connaissait. C’est une lumière plus douce, ou plus franche ; ce sont des maisons plus ou moins hautes et des rues moins étroites ou plus sinueuses...cette ville ressemble étonnamment à celle d’où on vient – et cela, d’où qu’on arrive.
 
D’abord, on est presque déçu : pourquoi voyager, si ici c’est comme chez nous ? Et puis on s’y fait. Forcément, c’est plus reposant, moins fatiguant, puisqu’on est ici comme chez nous.
 
Généralement, une fois les bagages déposés à l’hôtel, rien de tel qu’un café – grande terrasse de brasserie sur l’avenue ou petit bar des rues intérieures – pour prendre le pouls d’une ville. Histoire de s’accoutumer, de se poser, d’écouter les gens, de parcourir les journaux. Il est temps de se mettre au diapason.
J’ai fait toujours comme ça, moi, en tout cas. Lire, écouter, discuter, donne la clef, le juste ton, mieux que les monuments et les proclamations officielles. Mais cette fois, sitôt assis devant un guéridon de marbre, le journal du jour ouvert à côté de moi, j’ai ressenti une petite distorsion fugitive, une bizarrerie d’abord insaisissable qu’au bout d’un petit moment j’ai réussi à isoler : sous l’apparence familière des façades et des costumes, il faut admettre qu’on est ici en terre très étrangère, où l’orage, le vent et le nuage n’ont aucun intérêt.
 
 
Non qu’il ne pleuve ni ne vente, bien sûr, ou que les gens et les plantes soient insensibles au soleil ou à la neige. On sort les parapluies quand il faut, les parasols si nécessaire, les jardinières sont arrosées et les potées fragiles sont abritées comme il convient. Pluie, brise, crachin, soleil, brume vont et viennent sans seulement faire l’objet d’un commentaire, sans que jamais on songe tout simplement à parler météorologie.
Qu’est-ce qui peut bien, alors, animer les discussions, me demanderez-vous ?
Rien d’autre que la géologie : l’anticlinal, la bétoire, la cuesta, les dunes, la faille et la gravimétrie règnent sur les repas de famille. Sédiments et tectonique ont leurs organes de presse et leurs émissions radiodiffusées quotidiennes. Talweg, adret, ubac, leurs écoles, leurs clubs et leurs cafés attitrés, où il ne fait pas bon venir porter la contradiction, ou simplement parler karst, loess ou moraine hors de propos.
Une fois qu’on a saisit cela, soit on trouve rapidement sa place et on est alors vraiment ici chez soi, mieux qu’en famille ; soit l’envie d’aller voir ailleurs se fait vite sentir. Voyager de nouveau : un vélo, un wagon, l’X de l’inconnu… Y a-t-il mieux pour redécouvrir la douceur du zéphyr ?
 
 


9 commentaires:

  1. Bel exercice, bravo t'à toa ! ];-D

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    1. Merci ! (enfin, c'est La Licorne qu'il faut bravissimer, pour cette "contrainte" toute en douceur)
      :)

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    2. Douce, peut-être...mais il fallait quand même rendre cela intéressant, agréable à lire...et cela, tu l'as fait avec brio...

      Y"a aussi plein de petits détails que j'aime bien : le mot "cas" juste avant la lettre L, les W, X, Y, Z glissés habilement à la fin et puis le titre qui mêle le A et le Z...
      La classe, quoi !

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  2. Je trouve que toute la fournée "petit bonheur" est bien venue !
    je n'avais jamais essayé le truc de l'alphabet. C'est vraiment un joli cadre qui oblige à se surprendre un peu, mais sans casse tête. Surtout que
    tu avais eu la gentillesse de mettre hors jeu les "lettres maudites"...

    Mais bon, plus de malice potache que de classe, je le crains
    :)

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    1. je me relis et oups !! "plus de malice potache que de classe"... j'voulais dire de ma part, bien sûr !

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    2. J'avais bien compris...:-)

      Bon, j'ai effacé la première version...et j'ai recopié la version définitive (celle qui est sur ton site).
      ...ça ne te dérange pas ?

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    3. Au contraire, tu as bien fait (je n'osais pas le demander... mais souvent, je rebricole les textes même après leur publication.

      Sinon, un petit bonheur en commentaire sur les carnets ; je me dis qu'il aurait toute sa place ici :
      https://carnetsparesseux.wordpress.com/2016/06/09/adieu-au-zephyr/#comment-5541

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  3. Dans mon coeur, quelqu'un qui écrit si bien fait la pluie et le beau temps ...
    ¸¸.•*¨*• ☆

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