samedi 22 juillet 2017

Agenda ironique : "Quand l'avez-vous perdu ?"

 
 
Pour l'Agenda ironique de juillet

 
 
Thème :
"La perte en une phrase"
 
Perdre ses clefs, ses repères, ses cheveux, son âme,
quelqu’un, un souvenir, une opportunité ;
perdre son temps, une habitude, le repos,
des kilos, ses feuilles, sa saveur,
 son parfum, sa raison, sa vanité.
La perte est le sujet de ce mois.
Elle se dira en une seule phrase, brève ou longue,
avec ou sans ponctuation, fluide ou hachée, fuyante
chutant avec l’objet perdu et se perdant avec lui,
 précipitée cherchant à le rattraper et se combler, ou lente,
précautionneuse cernant le vide qu’il a laissé.
On peut être ironique, ou pas.
 .
Joséphine
.
 
 
 
  
 
 
"Quand l'avez-vous perdu ?"
me demandent-ils, l'un après l'autre,
 sans se rendre compte de ce qu'ils disent,
de ce qu'ils énoncent naïvement,
avec l'incroyable candeur de celui qui n'est pas concerné,
qui ne sait pas, qui ne sent pas,
qui dit les mots qu'on dit habituellement,
les mots qui viennent sans qu'on y réfléchisse vraiment,
les mots tannés, vieillis, usés par la répétition...
 
"Quand l'avez-vous perdu ?"...
quelle expression étrange..
quand on y pense...
comme si l'on avait égaré un portefeuille,
un vélo ou un trousseau de clés...
comme si l'on pouvait, en cherchant bien,
 le retrouver et le ramener ici,
 comme si ce n'était qu'un accident,
un égarement, une perte temporaire...
comme si ce n'était pas grave,
comme si ça allait s'arranger avec le temps...
un petit tour au bureau des êtres disparus et hop !
le voilà de retour, ni vu ni connu,
on n'en parle plus...
 
"Quand l'avez-vous perdu ?"...
et c'est  comme si c'était ma faute,
comme si je n'avais pas fait attention,
comme si j'avais eu un moment d'inattention,
comme si j'étais à la source de sa disparition...
et que je l'aie oublié sur le chemin de la vie
dans une allée, derrière un arbre ou sous un pont...
comme s'il suffisait de faire la route à l'envers
et de bien regarder partout
pour l'apercevoir au détour d'un virage...
comme si c'était une absence de ma part
et non la sienne, d'absence, qui pose problème...
 
"Quand l'avez-vous perdu ?"
je ne l'ai pas perdu, voyez-vous,
je l'ai vu partir, c'est différent,
et il s'en est allé un jour, un soir,
là où s'en vont, sans crier gare, 
ceux qui n'ont plus rien à perdre...
.
 
La Licorne
 
.




6 commentaires:

  1. Magnifique et cruelle réflexion sur le poids des phrases toutes faites et leur inadaptation à ce qui est...

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    1. ...ça ne se voulait pas cruel, mais plutôt, comme tu le dis, une façon de "démonter" les phrases toutes faites...
      Les mots ont leur importance, surtout dans ces moments-là...

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  2. Joli retournement. Le sens de la perte n'en reste pas moins douloureux...

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    1. Oui...bien sûr...
      Mais le mot "séparation" me paraît plus juste...

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  3. Contraste saisissant entre une légèreté des mots et le sujet traité. quelle angoisse!

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