Aujourd’hui, j’ai décidé d’écrire ce que je ne dis pas. Parce que coucher les mots sur le papier (en l’occurrence dans ce journal), c’est en quelque sorte mettre en carton des vieilleries, faire le ménage de printemps. Et là je crois que j’en ai besoin.
Je pense souvent à la citation de Virginia Woolf : « La vie est un rêve, c’est le réveil qui nous tue. » Jamais phrase n’a eu autant d’écho en moi que celle-ci depuis que je suis né.
La nuit dernière je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai fait un drôle de rêve, enfin drôle n’est pas le mot approprié, mais ce n’était pas un cauchemar non plus, c’était plutôt un souvenir déplaisant.
Je devais avoir douze ou treize ans et je racontais à des copains de ma classe ce que je voyais la nuit pendant que tout le monde dort. Je ne sais pas pourquoi c’était important de le dire, mais sur le moment, ça l’était. Je crois que je voulais me laisser porter par les mots qui jaillissaient de ma voix, éprouver cette certitude que le monde pouvait être ample. Généreux.
Mais tout ce que je saisissais en retour c’était les moqueries des élèves, des trucs bien méchants qui pleuvaient sur moi comme des tempêtes, pour bien me faire comprendre qu’être différent ce n’était pas envisageable. Ça m’a réveillé en sursaut. Après, je n’ai pas réussi à me rendormir. Alors je suis allé dans le salon pour dessiner et surtout écouter la nuit. J’ai crayonné les ombres, les apparences inaccessibles et tout ce que je perçois.
Depuis des années maintenant, pendant la nuit j’accède à un autre monde. Un monde où les arbres me parlent, ou le vent, la Terre, l’eau me racontent des milliers d’autres existences.
J’éveille la nuit. J’ai un carnet rempli de dessins qui l’atteste. Bien entendu, j’évite de les montrer à ma mère. Déjà qu’elle pique des crises à chaque fois que je lui raconte ce qui se passe la nuit. Ce matin elle a crié après moi, elle disait : Arrête de suite, arrête, tu m’entends ? C’est pas la vie, ça, c’est pas la réalité ! Si tu continues, on va penser que t’es fou, c’est ça que tu veux ? Finir à l’asile ? Entouré de blouses blanches ?
J’éveille la nuit. J’ai un carnet rempli de dessins qui l’atteste. Bien entendu, j’évite de les montrer à ma mère. Déjà qu’elle pique des crises à chaque fois que je lui raconte ce qui se passe la nuit. Ce matin elle a crié après moi, elle disait : Arrête de suite, arrête, tu m’entends ? C’est pas la vie, ça, c’est pas la réalité ! Si tu continues, on va penser que t’es fou, c’est ça que tu veux ? Finir à l’asile ? Entouré de blouses blanches ?
Ça me fait de la peine de la voir ainsi, coupée de tout, coupée de moi, toujours à craindre le regard et le jugement cruel des voisins, des collègues, de la foule autour d’elle. (Surtout depuis que papa est parti). Y a que Julie, qui ne se formalise de rien, qui me soutient même si elle ne le dit pas. Tous les deux, on se comprend au-delà des mots. C’est ça aussi être jumeaux. Différents et semblables dans le même temps depuis dix-sept ans. Si moi je ne bouge presque pas, elle, elle est toujours en mouvement, (elle vise le prochain championnat de gymnastique artistique) son corps toujours en balance, elle tangue comme le vent, puis elle s’élève avec grâce, elle s’envole… et moi je m’ancre dans le sol, je tente de ne pas soulever le moindre grain (de folie ?)
Aujourd’hui, donc, je pense que me taire c’est bien aussi. Je réfléchis différemment. J’entrevois de nouveaux possibles. Et j’ai compris qu’il me faut attendre. Dans ce monde, on n’est pas prêt à s’ouvrir à d’autres univers. Même si les brèches sont de plus en plus évidentes.
Alors je crois que j’ai trouvé une solution. Voilà, je vais commencer par écrire un roman. Et peut-être que d’autres histoires suivront. J’en ai des tas à raconter. Ce ne sont pas vraiment des histoires, enfin si bien sûr, même si je ne fais qu’écouter et raconter avec mes mots l’univers qui aspire notre temps d’ici et ouvre des portes ailleurs.
Après tout, d’autres l’ont déjà fait avant moi.
Bonsoir Laurence,
RépondreSupprimerSortir du conditionnement dans lequel la société,nos proches nous font glisser doucement et laisser parler "la petite voix".
S'échapper des chemins tout tracés et oser pousser les barrières de l'inimaginable... Écouter son cœur...
Bravo, Laurence. Très belle parenthèse en cette chaude après midi.
J ai beaucoup aimé lire ton texte, entre l onirique et le fantastique ... se trouve l imaginaire si plaisant quand il devient Notre réalité...
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