Les malheurs de Sophie
20 juillet 1977
Ah, les vacances !
"Vacance" : de "vacuum", le vide. Pourquoi a-t-on éprouvé le besoin de mettre ce mot au pluriel ? Mystère. Un vide, c'est déjà ennuyeux, alors, plusieurs vides, je vous dis pas. Surtout quand on a douze ans, deux parents passablement barbants et deux petites soeurs qui vous cassent les pieds le matin, le midi et le soir.
Tiens, à propos de pieds, vous savez comment on les a commencées les dites vacances ? Eh bien, on est tous allés s'acheter des sandales. Pas au magasin. Non. Faut pas rêver. Au marché. Et là, y'avait un gros moustachu qui voulait vider son stock. Quand il a vu toute la petite famille réunie, il a flairé la bonne affaire. Il a proposé à ma mère un prix de gros : "Je vous fais une remise du tiers si vous m'en prenez cinq, ma p'tite dame !". Résultat : on lui a acheté cinq paires de sandales, toutes identiques. Super idée ! Quand on marche dans la rue, c'est la honte : les gens se retournent pour regarder nos pieds !
Le lendemain, on a pris le train. Une grande première pour tout le monde : on ne le fait jamais. Pour se déplacer, on ne prend que la voiture. Mais cette année, elle a quelques soucis mécaniques, la vieille guimbarde. Alors, hop, direction la gare d'Aubusson.
Petit moment de panique au moment de composter. Mes parents ne savaient pas comment s'y prendre. Du coup, on a perdu pas mal de temps. On est montés in extremis dans un wagon et on a mis un certain temps à trouver des places libres.
Moi, je me suis retrouvée assise à quelques mètres du reste de la famille. Ce qui, entre nous, ne m'a pas trop dérangée. Je me suis dit : Génial ! Deux heures et demie de tranquillité pour toi, Sophie. Sans les remontrances des deux vieux et sans les chamailleries des deux pestes déguisées en "petites filles modèles". Je vais pouvoir vagabonder dans mes pensées, regarder le paysage, écouter les bavardages des voisins...
Grave erreur ! A peine dix minutes plus tard, j'ai entendu du brouhaha du côté de mes géniteurs. Maman était visiblement énervée et le faisait savoir bruyamment à papa.
- Non, mais ce n'est pas possible ! C'était à toi de t'en occuper !
De quoi parlaient-ils, dieu du ciel ? Je jetai un oeil en direction de mes frangines. Elles étaient bien là toutes les deux, la blonde et la brune. La chouchoute et le garçon manqué. Je voyais leurs cheveux qui dépassaient du siège. On ne les avait pas oubliées. Alors quoi ?
Mince ! La valise ! La grosse valise à roulettes ! Dans la précipitation du départ, mes parents l'avaient laissée sur le quai, chacun étant persuadé que c'était l'autre qui l'avait en charge.
L'atmosphère devint houleuse et mon père tout rouge, à la fois de colère et de confusion.
Nous sommes descendus au prochain arrêt et avons repris un train dans l'autre sens.
Sur la photo, vous nous voyez juste avant le trajet retour. Comme vous pouvez le constater, l'ambiance est à couper au couteau. Mon père a enroulé la bretelle de son sac autour de sa cheville, de peur qu'on ne lui vole le peu qui lui restait. Tout le monde fait la tête et moi, je fais la tête à tout le monde.
Par chance, à la gare, on l'a retrouvée, la valise. Un employé de la SNCF l'avait aperçue et mise de côté. Plus de peur que de mal, donc.
Mais ça a été la fin des vacances. Le coeur n'y était plus. On est rentrés à Blessac, on a défait les bagages et on a allumé la télé pour regarder le Tour de France...
Cet épisode dramatique fut notre première et dernière "échappée" de la Creuse.
L'année suivante, nos parents nous ont inscrites toutes les trois au centre aéré.
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La Licorne
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