Au contact de la main sur son épaule, Alix sursauta.
Elle venait de s'assoupir, en pleine séance de pose.
La chaleur, peut-être. L'ennui, sûrement.
Richard était un peintre talentueux mais il était minutieux...
il mettait un temps fou à rendre les moindres nuances
de la lumière sur sa peau diaphane.
Elle avait tenu bon pendant une heure et puis, tout doucement,
ses yeux s'étaient fermés...
En une fraction de seconde, elle s'était alors retrouvée "de l'autre côté du miroir"...
dans un univers étrange.
Dans ce monde-là, elle était grande, très grande...
d'une taille incroyable, qui lui permettait de surplomber la maison et le jardin.
Les plus gros massifs de fleurs ressemblaient à de minuscules pâquerettes...
L'artiste et son chevalet n'étaient pas plus hauts que le bout de ses escarpins.
Pas plus hauts que des figurines dans une maison de poupée.
Elle enjamba le toit et se dirigea vers la colline.
Là, une ribambelle de petits lapins blancs couraient en tous sens.
Ils semblaient pressés.
- Où allez-vous ? demanda-t-elle.
- Nous sommes en retard, répondit le plus proche. En retard pour Pâques...
- Pour Pâques ? Mais nous sommes en juillet !
- C'est bien ce que je disais, nous sommes en retard...très en retard...
- Bizarre, bizarre, pensa-t-elle...
Elle s'assit dans l'herbe pour les regarder.
Ils étaient des dizaines et, à bien les observer, on pouvait voir
qu' ils suivaient des trajectoires insensées.
Ils s'arrêtaient brusquement et repartaient dans la direction opposée...
ou bien sans raison, viraient à angle droit,
comme s'ils étaient égarés dans un labyrinthe invisible.
Huit d'entre eux, plus calmes, étaient occupés dans un coin
à grignoter des salades.
- Tu en veux ?
- Non, merci, dit-elle, peu enthousiaste à l'idée de cette verdure.
- Tu as tort...il n'y a rien de meilleur !
Rien de meilleur que les (huit) scaroles...;-)
Un lapin plus hardi que les autres s'approcha d'elle
et déposa sur le bas de sa robe un petit oeuf en chocolat.
- Merci, dit-elle, en ôtant délicatement le papier doré.
- De rien ! Je voyais bien que tu avais soif !
Au moment où l'oeuf commença à fondre sur sa langue,
elle eut l'impression curieuse que le lapin grandissait...
De fait, en quelques secondes, il eut la taille d'un vrai lapin...
mais il ne s'arrêta pas là, il continua à grandir et très vite, il la dépassa ...
- Comme tu es grand, dit-elle.
Est-ce que toi aussi, tu es passé de l'autre côté ?
- Je n'ai rien fait, dit le lapin, mais toi, je te le dis, tu as rétréci !
- Rétréci ? Oh, ce n'est pas possible !!!
Pourtant, c'est lui qui avait raison...
Non loin de là, il y avait une fourmi.
Une fourmi qui portait un chapeau et tirait une sorte de char...
Mais le plus dérangeant n'était pas là...
le plus dérangeant, c'est qu'elle avait la taille...d'un chat !
- Mon Dieu ! Je suis devenue si petite...Comment est-ce arrivé ?
- Ce sont des choses qui arrivent...
lui susurra la reine des abeilles qui passait par là.
Tu es bien jolie dans cette robe, comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Alix.
- Et quel âge as-tu, Alix ?
- Je vais avoir vingt ans...
- Vingt ans ? Vingt ans...ça se fête !
Aussitôt, elle appela ses sujettes et en un instant,
des dizaines d'abeilles se mirent à voler
et à vrombir autour de la jeune fille en chantant :
"Zoyeux Z-Âne-Hiver-Cerf !" "Zoyeux Z-Âne-Hiver-Cerf"
- Merci, mais c'est dans trois mois, dit-elle, un peu étonnée.
- Il n'est jamais trop tôt pour bien faire, dit la Reine,
en apportant le gâteau et ses bougies de cire.
C'était un tout petit gâteau marbré de noir et de jaune,
un gâteau en forme d'abeille.
"Coupez-lui la tête !" dit-elle.
L'une de ses comparses prit le couteau et s'exécuta.
Puis elle tendit la minuscule part à Alix,
qui la porta à sa bouche...
et s'éveilla d'un coup.
-...ça va ? lui demanda Richard, en ramassant le miroir brisé.
- Oui, oui...répondit-elle. Je suis désolée, je crois que je suis un peu fatiguée.
- Ce n'est pas grave, ma belle...on va faire une pause. Veux-tu une tasse de thé ?
La Licorne
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