Monsieur Pennac, on a déjà dit bien des choses de votre livre...qui, en son temps, fut abondamment commenté dans toutes les bonnes émissions littéraires. Tout ayant déjà été dit, je n'y ajouterai rien , sinon un petit témoignage personnel...
Je fais partie de ces personnes qu'on n'a jamais dû contraindre à lire...je m'y suis attelée toute seule. Les livres m'ont toujours fascinée. Les mots aussi. Je sentais intuitivement que le champ de l'écrit était fait pour moi et il était hors de question que ce champ reste un mystère. Je l'ai donc "percé" dès que j'ai pu. Comme si c'était une question vitale. Une question existentielle.
A cinq ans, pendant que mes copines jouaient dans le bac à sable, j'interrogeais ma mère à tout bout de champ : "p et a, ça fait pa ?" , "o et u, ça fait ou ?", "q et u, ça fait k ?". En trois mois, l'affaire était bouclée, je lisais couramment.
A la rentrée , ma mère, qui n'y était pour rien, subit les foudres de ma maîtresse de CP qui déclara que, premièrement, elle ne savait que faire de moi dans sa classe et que deuxièmement la méthode avec laquelle j'avais appris à lire n'était absolument pas "orthodoxe". Il est vrai que j'avais suivi une progression qui devait tout à ma curiosité et rien à l'Education Nationale, mais le résultat était là : je savais lire. Et plutôt bien.
Que j'y sois parvenue par mes propres moyens irritait grandement cette brave institutrice qui voyait sans doute, par cette anomalie, ses compétences et son savoir-faire remis en cause. Où allait-on si les enfants se mettaient à trouver le chemin du savoir par eux-mêmes ? Le métier en pâtirait .
Sous cette avalanche de remontrances, je compris vite qu'il valait mieux faire "profil bas". Je débutai l'année de CP en cachant le plus possible mes capacités. Pendant les leçons de lecture, je ne levais jamais le doigt, je ne coupais pas mes camarades qui ânonnaient consciencieusement, je me faisais toute petite et invisible. Je pense que si j'avais pu disparaître sous la table, je l'aurais fait. Mes efforts ne suffirent pas, cependant, à calmer l'enseignante, qui, je le sentais bien, ne me pardonnait pas d'avoir court-circuité le parcours habituel...
En janvier, je fus sauvée par une toux persistante et douloureuse qui me cloua au lit. On diagnostiqua une coqueluche. De quinte en quinte, je passai plus d'un mois sans école...puis ce fut le tour de mes soeurs de s'arracher la gorge...Pour éviter la contagion, on me garda encore un moment à la maison. Quand je revins sur les bancs de l'école, on était fin mars...J'enchaînai avec les vacances de Pâques...et je ne revins que pour les dernières semaines, qui furent moins pénibles que celles du premier trimestre car je peaufinai les quelques sons complexes qui me posaient encore problème...
A partir du CE1, je lus tout ce qui me tombait sous la main...Je pillai le bibliobus, la bibliothèque de la classe...Trois mois plus tard, grâce à un instituteur heureusement plus éclairé, je passai prématurément au CE2.
Pendant les dix années suivantes, je continuai à lire avec acharnement...et surtout avec passion. La lecture était un besoin, une nécessité. Je me faisais des "listes" de livres à lire...Quand j'aimais un auteur, je lisais tout de lui...et ensuite, je passais à un autre...A dix ans, j'avais terminé le rayon "Comtesse de Ségur", à quinze ans j'avais lu celui de Zola et à dix-sept ans, je me passionnais pour Soljenitsyne.
Parfait, me direz-vous. Ben non, justement. Outre le fait que cela ne me rapprochait pas des autres, qui eux, lisaient plutôt des policiers ou des romans d'amour...cela ne m'aidait pas non plus pour le travail scolaire.
Habituée à lire "pour mon plaisir", les livres "imposés" me tombaient des mains.
Alors que d'habitude, je finissais un livre en moins de trois jours, je mis des mois à lire "Polyeucte"... et je faillis ne jamais arriver au bout de "La condition humaine" de Malraux...Je devais vraiment me "forcer"...je n'y arrivais pas.
J'avais deux piles sur ma table: la pile de livres personnels disparaissait en un clin d'oeil...celle des livres "obligatoires" prenait la poussière... Aujourd'hui encore, je garde de ces lectures scolaires des souvenirs de "tâche insurmontable"...des souvenirs de contrainte et de déplaisir. Paradoxal, quand même, pour quelqu'un dont la lecture était la principale occupation.
Alors, merci, merci , Monsieur Pennac pour votre livre.
Merci d'avoir rappelé à tous que la lecture est autre chose qu'une contrainte. Merci d'avoir rappelé que c'est avant tout une soif, une aventure, un désir...Car c'est ça, au final, qui change tout : le DESIR. Sans désir, sans liberté, tout amour vire au dégoût...et l'amour des livres n'y échappe pas.
Si les parents et les enseignants pouvaient s'en souvenir, ce serait merveilleux !
La Licorne
Les droits imprescriptibles du lecteur
- Le droit de ne pas lire.
- Le droit de sauter des pages.
- Le droit de ne pas finir un livre.
- Le droit de relire.
- Le droit de lire n’importe quoi.
- Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
- Le droit de lire n’importe où.
- Le droit de grappiller.
- Le droit de lire à haute voix.
- Le droit de nous taire.