Pour l'Agenda ironique de septembre
et pour le Jeu 86 de Filigrane
Un jour, j'ai été cette petite fille.
Un jour, j'ai porté des couettes, des barrettes,
et des noeuds dans les cheveux.
Un jour, j'ai porté des robes à carreaux
avec des volants blancs tout en bas...
Je peux vous montrer la photo, si vous voulez.
Oui, un jour, j'ai été petite,
et même si petite que, chaque jeudi,
je faisais sourire l'épicier derrière son comptoir
quand je me hissais sur la pointe des pieds
pour lui tendre ma liste de courses.
Au milieu d'une classe de maternelle,
j'ai peint, comme cette petite fille,
tous les après-midis,
devant un chevalet,
avec ferveur et application.
Je m'en souviens vaguement...
Je me souviens surtout, à vrai dire,
des longues séances de frottage
de nos menottes peinturlurées
sur les savons rotatifs jaune citron.
Je me souviens d'avoir été
une toute petite écolière de trois, quatre ans
qui n'aimait pas du tout la sieste obligatoire...
qui n'aimait pas non plus la cloche des fins de récré,
cette fichue cloche qui interrompait brutalement
mes belles séances de bac à sable
et mes châteaux de rêve.
Je me souviens des bûchettes de bois
avec lesquelles j'ai appris à compter,
et qu'il fallait sans cesse ramasser sous la table...
des pions qu'on déplaçait avec application sur le jeu de l'oie,
un, deux, trois, quatre, cinq, six...
des lignes espacées sur lesquelles j'ai appris à écrire,
de l'odeur de la colle, qu'on étalait à la spatule,
de la cour immense qui accueillait nos rires et nos glissades,
des sachets de billes qu'on planquait dans nos cartables,
du rythme des saisons qui scandaient nos vies.
Je me souviens des phrases
qu'on se disait pour s'agacer :
"T'es qu'un vilain rapporteur !'
"Donner c'est donner, reprendre c'est voler"
"C'est celui qui dit qui y est"...
Je me souviens des rondes et des comptines démodées :
" Oh grand Guillaume, as-tu bien déjeuné ?"
"Qu'est-ce qu'elle a donc fait, la p'tite hirondelle ?"
"Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés..."
Je me souviens des jeux de balle, de corde à sauter...
des jeux de cache-cache et du jeu de la "bague d'or" qui passait secrètement dans nos mains jointes.
Je me souviens des images joliment désuètes
que la maîtresse distribuait quand on avait bien travaillé.
Je me souviens de mon premier porte-plume,
des petits bouts de buvard que mon voisin taquin
jetait exprès dans mon encrier...
pour me faire rager.
Oui, je me souviens de tout ça...
C'est à la fois si près et si loin...
comme une brume lointaine,
un monde enseveli...
un autre temps, un autre moi.
C'était une autre époque...
Une époque où les choses
passaient lentement,
où tout paraissait éternel.
Une époque où les vacances
étiraient sans fin leurs heures vides...
Une époque où sur l'écran de TV
on voyait passer en interlude
sans passager ni passagère
le silence des âmes naissantes.
Une époque où sur le tableau noir
la craie traçait en crissant un peu
des signes immuables
et des majuscules fleuries.
Une époque sans ZEP et sans USEP
Sans TICE, sans LSU, sans TBI
sans PPRE, sans PAP, sans PAI
Une époque sans TDAH,
sans TSA, sans MDPH,
sans AVS ni AESH.
Une époque où ULIS rimait encore
avec "beau voyage"
et IEN avec
"Infini Ecoulement des Nuages".
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Une époque où l'on grandissait
sans écran et sans bruit.
Petit à petit.
La Licorne
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Il fallait, en ce mois de rentrée des classes,
évoquer un ou des souvenirs d'école
tout en insérant dans le récit ces quelques mots :
rapporteur / pion / colle / ligne / cour et rythme !
Il fallait aussi détourner au minimum un des fameux sigles
qui composent le jargon académique de l'Education Nationale
Par exemple, transformer une AESH
(Accompagnant des élèves en situation de handicap)
en Association des Éléphants Spécialistes de Hapkido ?!!
Bref, s'amuser un peu avec les sigles en question....
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Et pour le Jeu 86, il fallait s'inspirer de la photo ci-dessus
ainsi que du livre "Passagère du silence"
de Fabienne Verdier
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(*) DSDEN (titre) :
Direction des Services Départementaux
de l'Education Nationale
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