Voici quelques années, je rencontrais Ysabeau de Tintagel.
Venue présenter quelques ouvrages anciens, à un festival de musique celtique.
- Tintagel, comme le château de Tristan et Yseult ? Heu, enfin du roi Marc ?
- Pile-poil, répond-elle. Je suis une descendante de Tristan.
- Vous, vous…bafouillais-je. Je ne savais que dire.
Cette personne n’avait pas toute sa tête, ou bien pire…
- Non, répond-elle en riant. Je n’invente rien.
Mon aïeul Tristan de Loonois et Yseult la blonde
ont vécu très heureux ensemble encore longtemps ;
élevant mon aïeule.
Mais on a préféré faire de leurs aventures, certes dramatiques,
une légende convenable et romantique pour l’époque.
Elle me raconta, ce que je vous livre, ici.
« Un jour, mon prince viendra…chantonne la petite fille.
Aujourd’hui, seul le père de Flora est son prince.
Mais elle sait bien que les petites filles ne se marient pas avec leurs papas.
Marraine le lui a expliqué. Marraine sait toujours tout.
Elle connaît le secret des plantes qui guérissent, elle sait, de sa jolie voix,
consoler les chagrins, et murmurer les plus beaux chants qui soient.
Ainsi Flora a-t-elle appris cette chanson fredonnée par Marraine,
s’accompagnant de sa harpe.
Flora, depuis sa naissance, entend cette voix aux accents tendres,
mêlée à celle plus grave et ardente de papa.
Très jeune, papa et Marraine lui ont expliqué que Marraine n’est pas sa vraie maman ;
qu’elle l’aime comme si c’était sa fille.
Flora, confiante se laisse bercer par cette charmante dame,
si belle, si attachante et attentionnée.
Flora, parfois se regarde dans le miroir, espérant ressembler à Marraine.
Elle sait bien que ce n’est pas possible ;
ses cheveux sont de la même couleur que ceux de son père,
ses yeux, aussi. Pour le reste, elle essaie d’imaginer maman ;
et si l’ensemble ne lui déplaît pas,
elle ne peut s’empêcher de regretter de ne pas être plus belle.
« Parle-moi de maman, demande-t-elle à son père. Est-ce que je lui ressemble ? »
« Oui, ma belle fleur, répond papa, un éclair de tristesse, passant furtivement dans ses yeux.
Mais Flora y voit autre chose ; une espèce de regret, retenue d’un secret difficile à oublier.
Un autre jour : « Ta maman avait la peau blanche, si blanche et des mains fines, pareilles à des lys. »
Flora, aux boucles noires, yeux luisant comme deux perles, pose des questions, encore et encore.
Tristan revoit ce jour si proche et si lointain, où affaibli par une blessure,
il avait ressenti, fiévreux sur sa couche, cet élan passionné pour Yseult aux blanches mains,
sa femme, qui n’était pas encore sienne. Il connaissait l’intensité de son amour,
mais ne pouvait oublier l’autre Yseult, perdue et interdite à jamais.
Elle avait répondu passionnément à ses gestes, mêlant voluptueusement son corps au sien,
le caressant à n’en plus finir, murmurant des mots d’amour et d’adoration.
Quelques semaines plus tard, elle annonçait sa grossesse.
Quelque chose d’indéfinissable le tourmentait. Il éprouva ce bonheur, mêlé de souffrance,
à la pensée qu’il ne connaîtrait peut-être jamais son enfant.
Seule Yseult pouvait le guérir, mais elle tardait.
Voici que la naissance approchait. Tristan dépérissait de jour en jour.
« Je les vois ! » entendit-il, soudain.
« De quelle couleur est …
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Sa femme, soutenant son ventre, hurla.
Servantes et valets accoururent, on alla quérir la matrone.
Le navire approchait.
Dans les rues de la ville, on vit passer une belle jeune femme
à la soyeuse chevelure dorée, un ruban blanc, la retenant.
« Notre princesse accouche » lui disait-on, riant et se félicitant.
Ne prêtant pas attention à ces paroles, elle avançait, d’un pas rapide vers le château.
A son arrivée, régnait un silence effrayant : « J’arrive trop tard » pensa-t-elle.
On la conduisit auprès d’un petit être nouveau-né.
« Qui est cet enfant ? »
« La fille de notre prince et de notre regrettée princesse. »
« Le prince est encore en vie ? »
Portant l’enfant dans ses bras, elle se rendit dans la chambre du prince.
Les voyant toutes deux, un faible sourire naquit sur ses lèvres.
Il tenta de se redresser.
« Je t’en supplie, pas d’efforts, mon aimé, tu dois vivre pour ta fille.
Comment la nommes-tu ? »
« Flora ; sa mère a choisi ; ne voulant pas la nommer Yseult ;
disant que ce prénom n’apporte que souffrances et malédiction à celles qui le portent. »
« Il n’y a pas de malédiction ; je vais te guérir, et rester pour toujours. »
Les onguents firent miracle.
Flora grandit, choyée par son père et Marraine.
« Papa, maman s’appelait comment ? »
« Yseult. »
« Marraine, aussi, s’appelle Yseult. »
« Oui, ta maman s’appelait Yseult aux blanches mains ;
et Marraine est Yseult. Vois-tu, il n’y a qu’une Yseult. »
« Et toi, Tristan ; pour moi, il n’y aura jamais qu’un Tristan. »
Flora laisse son père, et s’éloigne chantant*:
« Un jour, mon prince viendra
Sur un beau voilier blanc.
Me prendra dans ses bras,
M’emmènera, disant
Vous êtes ma Flora
Un jour, mon prince viendra…
Au-dessus de la tombe de sa mère,
Yseult aux blanches mains, fleurit un chèvrefeuille.
Un jour Tristan, aidé d’Yseult la blonde, l’a planté là.
Flora en cueille quelques brins.
Elle les offrira à Marraine, car c’est sa fleur préférée...
* Flora chantait comme une casserole.
Je vous rapporte ce récit, tel qu’Ysabeau de Tintagel me le fit.
Bien sûr, vous n’y retrouverez pas le style employé par l’auteur du roman,
Joseph Bédier, qui l’écrivit au début du 20e siècle;
s’inspirant de poèmes du 12ème siècle.
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