mercredi 25 mai 2022

JEU 76 : "La gloire de mon père" - Joe Krapov

 


 

La gloire de mon père est très similaire à celle du capitaine Haddock. Ces deux individus bruts de décoffrage sont, ou plutôt étaient, toujours sur leurs gardes, prompts à s’emporter et surtout capables d’invectives fleuries.

Dans le répertoire de mon père il y avait par exemple « Flamind d’bos » (Flamand de bois). Pourquoi en avait-il contre les Belges ? On n’en connaissait pas, on n’allait jamais Outre-Quiévrain même si on était des Boïaux rouches (boyaux rouges) vu qu’on habitait la partie extrême-orientale du Pas-de-Calais ! Et surtout la découverte, certes tardive, grâce à un cousin, de notre arbre généalogique du côté paternel montre que ses ancêtres, peu mobiles il est vrai, ont été Belges pendant près d’un siècle !

On ne voyait pas plus d’Espagnols dans le coin, plutôt des Polonais puis des Algériens et des Marocains, mais le mal dégourdi, l’imbécile étaient forcément des « agosils », mot qui vient de l’ancien « alguazil » des Ibères.

Un « trop d’gueule » désigne un beau parleur, « faquin » un hâbleur trop bien habillé, « Marie Toutoule » une femme qui parle pour ne rien dire, une pas grand-chose. L’« ébeulé » est un abruti. Le « pourchiau » n’est autre qu’un cochon mais #balancetinpourchiau ça le fait moins que #dénoncetonmacho.

Je n’ai pas retrouvé « bouloute » (pour Mouloud ?) qui désigne un individu mal vêtu, dépenaillé.

Ses expressions étaient également assez pittoresques :

« Ramasse tin cô, y a les pattes cassées » invitait le destinataire à rabattre son caquet, à se montrer moins vantard ou moins fanfaron. Et pourtant il n’y avait pas de ces traditionnels combats de coqs du Nord par chez nous.

« Compte tes blèques ! » vient sans doute de la belote quand l’adversaire n’a fait qu’un ou deux plis.

« Qui qu’ch’est qui t’a dit gros genoux, ti qui as d’aussi belles gampes ? » permet de mettre un bémol, de calmer le ton et les susceptibilités quand l’agressé-agresseur monte sur ses ergots. (Qui t’a traité de « gros genoux », toi qui as de si belles jambes ?)

De ma cousine très bavarde il disait qu’« elle avait été vaccinée avec une aiguille de phonographe ».

A part ça la vie de mon père n’a rien eu de très glorieux et, semblable en cela à bon nombre de ses congénères, dont le dénommé Archibald Haddock quand on fait sa connaissance à bord du Karaboudjan dans « Le Crabe aux pinces d’or », il avait un penchant certain pour la bouteille. De ce fait, comme il passait toutes ses soirées au bistrot, j’ai très peu connu mon père et je suis très mal placé pour parler de sa gloire.

Celle-ci m’a paru surtout être du genre posthume et très vite éphémère. Le jour de son enterrement on a découvert qu’il était connu « comme le houblon » et apprécié de tout le village. Enfin de tous les habitants du village qui, comme lui et comme le personnage fictif d’Andy Capp, le « héros » de papier de Reg Smythe, consacraient l’essentiel de leur temps à picoler chez Sidonie, chez Marie Taillez, chez Albin ou chez Figaro. Avant ce jour-là je n’avais jamais vu autant de trognes d’alcooliques, bien marquées par la cirrhose naissante ou galopante, rassemblés dans un cimetière !

 

Filigrane jeu 77 Andy Capp

 

Mais qui suis-je pour juger? Je n’ai pas très envie de me faire traiter de « trop d’gueule » même si je sais que j’en suis un quelque part.

Déjà, allez savoir pourquoi, je suis un très petit buveur dans ma catégorie : je ne fréquente pas les cafés, je ne bois que chez moi, de l’eau gazéifiée le plus souvent, un porto rosé le samedi et une vodka polonaise le dimanche. Je ne suis même pas rancunier : je lève mon verre à la santé de mon père, de ses copains d’estaminet et à celle du capitaine Haddock, en fait à la santé de tout le monde à part peut-être Madame Thatcher, Vladimir Poutine et quelques autres agosils plus ou moins sinistres ici et là de par le monde.

Je bois surtout à la santé de mes deux enfants dont je me demande parfois ce qu’ils pourront se dire à propos de « la gloire de leur père ».

- Qui, vous dites ? Papa ? Celui qui a donné la petite graine à Maman pour qu’on naisse ? Le gars qui jouait au jeu d’échecs et qui chantait des chansons stupides ? Ah si ! On se souvient ! On sait même : il faisait très bien la cuisine et il racontait sa vie sur Internet sous le pseudonyme de Joe Krapov !

Mais bon, ils n’auront même pas à se préoccuper de ce questionnaire Pagnolo-Proustien vu que je serai encore là, encore et toujours là. C’est que voyez-vous, Messieurs et Mesdames, je suis immortel, moi ! « Et ch’est pas des cacoules !» (Ce ne sont pas là des carabistouilles !).

Que celles et ceux qui, à la lecture de cette dernière assertion se sont posés le bout de l’index sur la tempe, l’ont fait tourner quatre fois en pensant « Y’est dumm dumm, ch’ti lal ? » se le tiennent pour dit : dans ce que m’a légué mon père, mon proverbe préféré est « Intique, intasse, n't’occupe pas de ch’ti qui passe !".

Ce qui signifie, en quelque sorte, « Bien faire et laisse dire » !

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Joe Krapov

9 mai 2022

 

(avec toutes mes excuses pour la publication tardive)

 

 

 

vendredi 20 mai 2022

JEU 76 : "A tous mes pères" - La Licorne

 
 
 

 
 
Père de ma naissance
Immensément fier
Emu et heureux
Tenant ma menotte 
dans la sienne 
Comme un trésor
 

Père de mes deux ans
Me faisant sauter 
Sur ses genoux
Taquin et joueur
Plein d'enthousiasme
Et de vie
 
 
Père de mes cinq ans
Devenu soudainement
Sombre et triste
Grand-mère est morte
Et sa peine
Est devenue la nôtre
 
 
Père de mes dix ans
Toujours au travail
Toujours absent
Transparent
Ses yeux regardent 
...ailleurs
 
 
Père de mon adolescence
Ayant plongé par mégarde
Dans un nouvel amour
Celui de l'ivresse
Père colérique
Et irascible
 
 
Père de mes vingt ans
Trop jeune retraité
Déboussolé 
Par la perte de son activité
Tombé dans le silence
De la dépression
 

Père de mes trente ans
Essayant de revivre
Maîtrisant peu à peu 
Ses vieux démons
Et tentant
Une nouvelle existence

 
Père de mes quarante ans
Ayant retrouvé son équilibre
Sobre et paisible
Passant ses journées 
Dans son jardin
Au milieu des fleurs
 
 
Père de mes cinquante ans
Papi épanoui
Jouant au patriarche
Au milieu de sa tribu
De petits-enfants
Déjà adolescents

 
Enfin père d'aujourd'hui
Presque centenaire
Vingt fois mourant
Vingt fois guéri
Indestructible
Et étonnant...

 
De tous mes pères
Que garderais-je ?
Je ne sais trop...
Mais sur l'arpège 
D'un siècle de vie
Son chant me suit...

La Licorne

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dimanche 1 mai 2022

JEU 76 : "La gloire de mon père"


- Atelier d'écriture pour le mois de mai -

 

Faites courir votre imagination 
à partir de cette image :

 

 
Et de ce livre : 
 
 
de Marcel Pagnol
 



Concernant le titre de livre , 

vous pouvez , au choix :


- Tout simplement, placer les mots de ce titre dans votre texte

(dans l'ordre que vous voulez)

- Ou faire en sorte que ce titre de livre soit aussi le titre de votre texte

(et donc le choisir comme fil conducteur de votre création)

- Ou , troisième et dernière possibilité, 

faire référence, tout au long du texte, à l'oeuvre citée

(en l'imitant, en la résumant, en la complétant, en la détournant...etc)

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Envoi à undeuxtrois4@orange.fr

avant le 21 mai 2022

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La Licorne

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