mardi 20 mars 2018

JEU 34 : Madeleine



 

 
 
  Madeleine, elle s'en fut
Madeleine, la voici revenue.
Ce temps, oublié,
Son corps, ses formes admirés.
De ma mémoire passée,
Le voici ressurgi,
Et saveur alanguie,
De ce petit biscuit,
A nouveau m'emplit.
Instants furtifs,
J'eus pu les croire perdus,
Discrets, s'imposent,
Et mon âme troublée,
Les recueille, apaisée.
 
.
Jacou
.

  



mardi 13 mars 2018

Un seul reproche

 Pour l'atelier d'écriture
"Treize à la douzaine"


Le thème du mois de mars était "reproche"...
et il fallait placer les douze mots suivants :

 aiguille , étiquette, entrée, pneumatique
 basilic, certitude, force, savourer
 cabas, or, verdure, calfeutrer




 

Camille, 18 ans...
Signes particuliers : 1,80m, cheveux longs et lisses, jambes fuselées
Mon rêve : devenir mannequin de haute couture

Il y a encore un an, mon corps était loin d'être parfait. J'avais, hum, quelques grammes superflus, quelques bourrelets "pneumatiques" au niveau de la taille. Oh, tout petits, rassurez-vous, mais quand même...
Alors, j'ai pris le taureau par les cornes et j'ai décidé de me calfeutrer chez moi, de refuser toutes les invitations... Fini le MacDo, le kebab et le resto du samedi soir. Adieu les dîners du dimanche en famille et les gâteaux façon mille-feuilles de Mamie Michelle. A force de manger de la verdure, matin, midi et soir, j'ai redéfini ma silhouette, comme ils disent dans les magazines. Je savoure avec application ma salade au basilic et ma pomme nature, avec la certitude intérieure que mon avenir sera sur la couverture dudit magazine...

Pour muscler un peu mes bras trop maigres, je porte  le cabas de ma mère au supermarché...et pour galber mes jambes, je marche souvent chez moi en talons aiguille. Avec ma mini-jupe lamée or, c'est du plus bel effet...De la chambre au couloir, je m'entraîne à faire mon entrée comme sur les podiums...à marcher sur une ligne imaginaire... et à balancer mon corps sur la musique, sans jamais sourire...je crois que je suis presque au point, maintenant...
D'ailleurs, j'ai mon premier défilé la semaine prochaine, chez Leclerc. Pour une nouvelle collection de tee-shirts ...Je défile gratuitement, mais faut bien commencer, n'est-ce pas ?

Et puis, si un jour, je deviens aussi célèbre que Carla Bruni...j'aimerais bien la rencontrer. Elle était si belle à mon âge, c'est mon modèle...Je n'ai qu'un seul reproche à lui faire : elle aurait dû rester "sans étiquette".

La Licorne 





lundi 12 mars 2018

JEU 34 : C'est l'heure du thé

 
 
C'est l'heure du thé !
Un petit intermède
 

Pour oublier cette morne journée,
Et cette angoisse du lendemain,
Qui me serre déjà le cœur...
L'esprit traversé de pensées dépressives et déroutantes,
Je porte en bouche, une gorgée de thé
Et un bout de gâteau de tante Madeleine,
Tout en fermant les yeux
Peut-être vais je...oublier mes tracas ou m'égarer...
 
Mais ? Par quelle magie ?
Ce fut une explosion de sensations,
Un feu d'artifice !
Lèvres frémissantes de joie,
Muqueuses en plein émoi,
Les mots semblaient alors bien pauvres,
Le plaisir envahissait mon palais,
Ma bouche bavait d'ivresse.
Trop, c'est trop !
 
Jamais je n'avais ressenti un tel bonheur.
Quoi ? Comment ?
Une simple petite madeleine et une gorgée de thé,
Sans délai et sans détour,
M'avait emporté en une extase infinie ?
Avais je déjà vécu une telle sensation,
Un tel plaisir ?
Mais comment était-il ?
Déjà il s'estompait...
Non, ne pars pas !
Reviens
 
Vite une gorgée, une miette...
Il s'évapore, deviens flou..
Je presse mon cerveau, l'oblige à se rappeler.
Je veux revivre ce moment.
Concentre toi !
 
Tout s'émousse...
Rien n'y fait !
Mon esprit est ailleurs,
A la recherche d'un instant vécu,
D'un instant de sublime délectation...
 
Erreur récurrente de l'humain,
Toujours à vouloir répéter sans relâche,
Un même moment de bonheur...
 
L'esprit s'agite ...
Où en étais je ?
Morne journée,
Angoisse du lendemain...
Ces craintes, ces impressions me semblent
Soudainement si insignifiantes, si futiles,
Tellement puériles...
 
Je m'apaise.
Vide... Je sens le vide tout autour de moi...
Une étoile scintille...
Et puis, l'évidence...la révélation...
J'étais à la fois la gorgée de thé, la bouchée de madeleine,
Le palais et les papilles...
 
Je venais de vivre pleinement un "INSTANT".
En totale conscience, tous les sens en alerte.
Mon corps pendant quelques secondes,
Avait été en totale perception
Pour "Vivre" ce qui se passait.

Saurai-je demain, vivre pleinement,
Chaque moment qui se présentera,
Sans jugement,
Sans a priori et sans idées préconçues ?
 
Saurai-je vraiment être présent à chaque instant ? 
.
 
.

 

JEU 34 : L'ami Proust au petit-déjeuner



Pour rire un peu...pour "délirer"...
et pour réveiller, chez les plus très jeunes,
quelques souvenirs lointains :







Un matin, pas très réveillé,
En pyjama devant l'évier,
Je repêche un bout de biscotte noyée
Dans mon bol marqué "Ricoré"...
 La journée s'annonce banale
Et je suis de mauvais mauvais poil
A la table je m'installe
Disons plutôt que je m'affale...

 
 





Je ronchonne, je marmonne, je bougonne...
Quand, tout à coup, alors que je mâchonne
Ma biscotte sèche et plus très bonne,
Au fond de mon cerveau bourdonne
Agrippée par quelques neurones
Une mélodie que tous fredonnent
Un air que la télé claironne
A tout, tout, tout, tout l'Hexagone...





 

Et voilà que soudain cet air m'emporte
Vers les années où, en culottes courtes  et short,
Ma mère, d'une voix qui réconforte
Me vantait les bienfaits de la chicorée :
Elle me disait, mon p'tit bébé,
Prends-en au petit déjeuner
Si tu veux, comme les deux jumeaux,
Devenir fort et beau !
 
 
 




C'était dans les années soixante
Au temps de la pub débutante...
Mais ce souvenir encore me hante...
Car le lait-chicorée de cette charmante
Et si désuète publicité
Me donnait chaque fois la nausée...
Alors, oui, bon.. c'est décidé...
Pour bien commencer la journée..

J'vais jeter mon bol "Ricoré" !
.

La Licorne
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P-S: Au cas où vous trouveriez mon texte trop "décalé"
sachez quand même qu'il s'en est fallu d'un rien
que la fameuse madeleine de Proust
ne finisse en ...biscotte !

La face du monde en eût peut-être été changée... :-)
 
.

 

JEU 34 : Une tasse de thé

 



Vous prendrez bien une tasse de thé, Hélène?
Violette, jasmin ou bergamote ?
Lequel choisirez vous ? demanda le capitaine confortablement installé sur son canapé.
 
Je goûterai volontiers cette boisson, si sucrée elle est.
A moins que vous n’ayez du citron ou de l’échalote pour l’agrémenter.
 
Hélène, Hélène, vous divaguez !
De l’échalote !
Je souffre tant de vous savoir pâlotte.
Pourquoi donc mêler l’acidité aux saveurs sucrées ?
 
Vous me faites douter capitaine.
Tantôt j’ôtais mes mitaines sur le guéridon de l’entrée.
J’aperçus l’éventail de Mylène, le rouge à lèvres de Tiphaine et le mouchoir de Ségolène !
Si vous continuez, mes larmes vont couler dans le thé.
 
Le capitaine embarrassé ne sut à cet instant comment il allait s’y prendre pour embrasser la douce Hélène, seul objectif de sa journée…
 
Chère Hélène, ma préférée,
S’empressa-t-il de déclamer.
Je vous le dis et le répète,
Vraiment, en vous voyant, mon cœur a chaviré !
 
Oh ma tendre Hélène, désormais,
C’est vous que j’aime pour l’Eternité.
Violette, jasmin, bergamote
Toutes ces saveurs sont dépassées.
 
Nos souvenirs y sont noyés.
Ne cherchez plus, comprenez-moi ?
A l’instant même, peut reprendre ou même mieux, débuter
Une belle histoire d’Amour à vos côtés.
 
Sur le petit nez d’Hélène
Les larmes furent vite essuyées.
 
Se lissant brusquement les moustaches
Le capitaine se ravisa
Et son sourire se fit glacé.
Tout est en place pour acquiescer
Pensa le goujat alléché.
Allez, allez ma belle Hélène, vous prendrez bien une madeleine désormais ? demanda le capitaine confortablement installé sur son canapé.
 
.
 
.


 



vendredi 9 mars 2018

JEU 34 : A Combray, à la nuit tombée...







A Combray, à la nuit tombée, tout était calme
Je me pelais le jonc en rentrant du boulot
Ma mère prit un bol et y versa de l’eau
Pour faire un thé fumant, et sans huile de palme
En un mot c’était un thé bio.
 

Tout comme le gâteau dont elle agrémenta
La douce tasse de porcelaine de Sèvres
Où elle avait versé le liquide. Apostat,
Je me décidai donc à y tremper les lèvres
Moi qui n’aimais pourtant pas ça.
 

Aussitôt mon palais éclate en étincelles
Et tout un monde insoupçonné se crée en moi
Un ouragan de sensations existentielles
Me transperce le bulbe et je tremble d’émoi
Poule devant un opinel
 

Les souvenirs affluent comme un vol de flamants
Qui rasent de leurs cris le champ de ma mémoire
Mais déjà ils s’enfuient, et les gorgeons suivants
Agrandissent hélas les trous de la passoire
De mon cerveau batifolant
 

Au prix d’un grand effort je reviens au début
Quand le gâteau mouillé de thé a percuté
Ma langue et mon palais, surpris, épantelé
Me disant en mon for « Tu t’es vu quand t’as bu ?
Essaie donc de te rappeler ! »
 

Et puis soudain, ça y est ! Me revient, délétère
Olfactif et goûtu, ce souvenir de songe :
Ce thé, ce gâteau sec trempé comme une éponge
Ce sont ceux que m’offrait de ses doigts de sorcière
Ma vieille tante atrabilaire.
 
 




mercredi 7 mars 2018

JEU 34 : Ma madeleine


 
 
 
 
Ma mémoire une fois me joua des tours.
- Tel Hansel, je la découvris sur ma soucoupe
Dans mon thé, cette pâtisserie se fit chaloupe
Délicatement noyée, la belle sortait du four

Je me souviens, de mes papilles enivrées ;
Ce dessert fondant dans la soirée boréale ;
J'ouïs sous mes dents le murmure des céréales ;
Oh ! là là ! cette madeleine divine dégustée !

Et je la savourais, attentif à cette filoute
Cette Aimée me mit les sens en déroute
Le thé à mon palais sublima sa candeur  ;

Me souvenant de ma tante mélancolique,
Je tirai une dernière fois mes zygomatiques
et avalai d’un coup des miettes de ce bonheur!

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Valentyne
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mardi 6 mars 2018

JEU 34 : Réminiscences

 
 
 




La mémoire est mon Dieu bien étrange
Qui nous fait oublier presque tout
Qui s'enfuit sur les ailes d'un ange
Effaçant les moments les plus doux
 

Mais que sur notre langue se pose
Le moelleux d'un biscuit détrempé
Et soudain de très loin quelque chose
Frémit à la première gorgée
 

Une impression floue mais délicieuse
Un souvenir ancien et profond
Une miette de l'époque heureuse...
Enfouie sous les futures saisons
 

Reviennent  alors comme une chance
La saveur des jours qui ne sont plus
La douceur des matins de l'enfance
Et les images du temps perdu...
 

La Licorne 
 




lundi 5 mars 2018

JEU 34 : A ma maman


 Photo proposée par Françoise
 
 
"La Madelon
Sous la tonnelle
Elle leur servait à boire..."
fredonnait mon papa....
Chanson souvenir de guerre.
Toi, Madeleine, ma maman,
Ce n'est pas la chanson de Brel
Qui te ramène dans mes souvenirs.
C'est cette petite gourmandise
Douce et sucrée comme toi
Que j'ai grignotée avec délice
Un instant, j'ai vu ton visage
Esquissant un tendre baiser
Dis-moi que nos souvenirs
Ne sont pas que des rêves.
.
.
 
 
 

dimanche 4 mars 2018

JEU 34 : Madeleine ne viendra plus...

  
 Photo proposée par Joe
 
 
 
 
Tremper son biscuit

Le fit se ressouvenir
 
De sa vieille tante.
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Joe Krapov
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jeudi 1 mars 2018

JEU 34 : Quittons la prose...


Voyage dans le temps, encore une fois,
mais en sens inverse...
dans les sables mouvants de la mémoire...
et des années enfuies.
 
Pour retrouver un peu de la saveur des jours passés,
je vous propose le texte d'un auteur
qui savait en parler mieux que personne....
Nous allons nous pencher sur un des passages
les plus célèbres de la littérature française,
celui de la "petite madeleine"
et puis, ô sacrilège, le transformer...

Le transformer radicalement,
puisqu'il s'agira d'en faire un poème...
En vers rimés ou en vers libres,
comme il vous plaira...
du moment que cela nous emmène en poésie...

Le texte ci-dessous est assez long :
le poème, lui, pourra être beaucoup plus court, bien sûr...
Vous pouvez ne garder que l'essentiel...
l'important étant que l'on reconnaisse le propos...
et que le sens global soit préservé.

Vous pouvez aussi prendre le texte comme "point de départ"
et y ajouter des éléments personnels ou pourquoi pas, une suite...
sans oublier la possibilité de le revisiter totalement
(transposition dans un autre contexte,
 autres personnages, autre époque ou autres aliments...).

Tout est possible...vous l'aurez compris,
à partir de ces deux pôles obligatoires :
"Texte de la petite Madeleine" + "Poésie"
 
Allez, zou...on met ses complexes de côté...
(du côté de chez...Swann)
et on s'y attelle bien vite...
proustement...;-)
avant l'année prochaine...
euh, non, avant le 21 mars !

.
La Licorne
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Il y avait déjà bien des années que, de Combray,
tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi,
 quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, 
me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. 
Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai.

Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines
 qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques.
 Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain,
 je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine.
Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais,
  je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi.

Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause.
Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs,
sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour,
en me remplissant d’une essence précieuse:
 ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi.
 J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel.
D’où avait pu me venir cette puissante joie ?
Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau,
mais qu’elle le dépassait infiniment, 
ne devait pas être de même nature.
D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ?

Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, 
 une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde.
Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer.
 Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi.
 Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment,
 avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter 
et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact,
à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif.
 
Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité.
Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ;
 quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher
et où tout son bagage ne lui sera de rien.
Chercher ? pas seulement : créer.
Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore
et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.
Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu,
qui n'apportait aucune preuve logique, mais l'évidence, de sa félicité,
de sa réalité devant laquelle les autres s'évanouissaient.
Je veux essayer de le faire réapparaître.
Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé.
 Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle.
Je demande à mon esprit un effort de plus,
de ramener encore une fois la sensation qui s'enfuit.
Et, pour que rien ne brise l'élan dont il va tâcher de la ressaisir,
 j'écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j'abrite mes oreilles et mon attention
 contre les bruits de la chambre voisine.
Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir,
 je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais,
à penser à autre chose, à se refaire avant une tentative suprême.

Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui,
 je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée
et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s'élever,
quelque chose qu'on aurait désancré, à une grande profondeur ;
 je ne sais ce que c'est, mais cela monte lentement ;
 j'éprouve la résistance et j'entends la rumeur des distances traversées.
Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l'image, le souvenir visuel,
qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu'à moi.

Mais il se débat trop loin, trop confusément ;
à peine si je perçois le reflet neutre où se confond
 l'insaisissable tourbillon des couleurs remuées ;
mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible,
 de me traduire le témoignage de sa contemporaine,
 de son inséparable compagne, la saveur,
 lui demander de m'apprendre de quelle circonstance particulière,
de quelle époque du passé il s'agit.
Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir,
l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique
est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ?
Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ;
qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ?
Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui.
Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne
de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante,
 m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé
en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui,
 à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine.
 Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu.

Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine
que le dimanche matin à Combray
(parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe),
quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait
après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul.

La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ;
peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger,
sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray
 pour se lier à d'autres plus récents ;
peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire,
rien ne survivait, tout s'était désagrégé ;
les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie,
 si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot -
s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion
qui leur eût permis de rejoindre la conscience.

Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste,
après la mort des êtres, après la destruction des choses,
seules, plus frêles mais plus vivaces,
 plus immatérielles,  plus persistantes, plus fidèles,
l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes,
 à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste,
 à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable,
l'édifice immense du souvenir.
 
  
Marcel Proust
"À la recherche du temps perdu.
Du côté de chez Swann" (1913)
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