Dame Liberté croupissait depuis des années dans les oubliettes du Castel de Montdactuel. Elle, si joliette quand elle était jouvencelle, avait maintenant le teint terne et les dents jaunies. Ses cheveux longs avaient perdu leur brillance et son mantel, aux fleurs de lys, n'était plus que lambeaux.
"Comment diantre en suis-je arrivée là ?" se demandait-elle. Tout avait pourtant si bien débuté. J'étais belle et aimée. Riche et admirée.
J'ai
souvenance que je fêtais mes accordailles avec le chevalier Braillard...
que nous étions tous en train de festoyer et de ripailler dans la cour du château, quand, soudain, venue de Nulle Part, a surgi, à la brune, une silhouette noire et crochue, un laideron caracolant sur son
balai tordu, une intruse non bienvenue.
- Mortecouille, que fait là cette garce ? s'est écrié mon amoureux. Allez quérir mon épée, que je la boute hors de ma vue, que je la pourfende, que je l'empale !
Son courroux était grand car il venait de reconnaître, sous cette sombre vêture, son ennemie de toujours, la vile Panika, une sorceresse cruelle qui lui avait causé, au cours des ans, bien des tracas et des malaventures.
Son
honneur étant en jeu, mon brave fiancé se leva prestement et se mit à
donner quelques grands coups d'estoc dans les airs...La vilaine en
fut-elle impressionnée ? Que nenni ! La félone, en retour, agita sa
baguette de noyer et usant d'une jactance diabolique, fit pleuvoir des
dizaines de hallebardes sur les convives qui s'enfuirent derechef en
poussant des cris de Mélusine.
- Pleutres ! Couards ! Jean-foutres ! Boursemolles ! hurla mon futur époux. Je vous donne gîte et bonne pitance...et dès qu'il faut un peu guerroyer, vous me laissez choir ! Vous êtes de fieffés coquins ! Si je sors de cet attrapoire, je vous ferai pendre haut et ...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Avant le dernier mot, une hallebarde perdue se ficha violemment dans son chef. Ce qui se passa ensuite, je ne peux vous le dire car, à cette vue, je perdis contenance et m'écroulai sur le sol.
Quand je me réveillai, j'étais prisonnière de ces lieux.
Depuis, chaque jour, Panika me tend, sous la fente de la porte, un infâme brouet...juste de quoi ne pas trépasser. Sans visite et sans espoir, je me morfonds sans fin et je me demande, si, quelque part, quelqu'un se souvient encore de moi...
J'ai ouï, il y a peu, au travers des murs de mon cachot, le chant d'un menestrel. Il chantait les louanges d'une Dame inconnue. Son nom revenait comme un refrain. M'aurait-elle remplacée désormais dans le coeur des manants ? En tendant bien l'oreille, j'ai pu enfin saisir, derrière la musique et le bruit des grelots, le faible murmure des syllabes chantées : si je ne me trompe, la Dame louangée se nomme "Sé-cu-ri-té".
La Licorne
Consignes de L'agenda ironique
En prenant exemple sur «Le livre du Cœur d’amour épris »
du bon roi René d'Anjou,
Jobougon nous a proposé ce mois-ci de personnifier « Liberté »
et de lui faire traverser moult tribulaventures
en inventant des noms de lieux et personnages
dans le style de cette époque et de ce livre,
et en incluant dans le texte au moins deux jurons bien tournés
dans un langage
tout aussi fleuri.
Hé bé, il y a tout ce qu'il faut, de la bagarre, des jurons, et même une morale contemporaine et un poil acide
RépondreSupprimerMais pourquoi diable dame Liberté s'est elle fiancée avec un Braillard ??
Bonne remarque...:-)
SupprimerDisons que y'avait deux raisons :
la première, c'est l'allusion à un autre chevalier bien connu... :-),
la deuxième, c'est que la première liberté, c'est de pouvoir s'exprimer...
(et même en jurant et en braillant, si l'on en a envie)
Mais, que Jobougon me pardonne, je n'ai pas, pour une fois, versé dans la "poésie"...
SupprimerJe suis sûre que d'autres le feront très bien...
J'avais cru saisir l'allusion a l'autre chevalier 🎠 :)
SupprimerTu as raison pour la première des libertés ; pour moi, la seconde est de rester libre . Mais bon, j'ergote, et je n'ai pas la première idée de ce que je vais raconter !
Whouah ! Whouah de chez Whouahouh ! C'est "croupissant" et "saisissant" en même temps, aussi bien hallebardé de bons mots que peux l'être l'épique chevalerie des âges post-renaissance.
RépondreSupprimerDame Sécurité doit être bien rassurante pour être aussi bien chantée et le Castel de Montdactuel peut dormir tranquille.
Bravo pour cette très impertinente ironie participative à l'Agenda de Mai, La Licorne.
Joliment bien trouvé.
Ah...si tu me lances sur le sujet de la Liberté, je en peux pas m'empêcher de répondre "présente"...:-)
SupprimerEt comme d'autre part, j'ai fait "langue du Moyen-Âge" en troisième langue...le sujet était fait pour moi ! ;-)
Je te remercie donc grandement de nous l'avoir soumis...
https://www.babelio.com/livres/Porcel-Chevalier-Brayard/977361#!
RépondreSupprimerJ'ai découvert son homonyme ici. Il a l'air sympa aussi celui-là.
Ah oui, je ne connaissais pas...
Supprimerça a l'air croustillant, cette histoire de croisades revisitées.
J'ai bien apprécié ce récit rigolo, j'attendais l'arrivée de Jacouille qui, à coup sûr, n'aurais pas détonné dans cette épopée 👍
RépondreSupprimerMerci Photonanie...
SupprimerIl y a effectivement quelques réminiscences de visiteurs d'antan !
Je lis avec plaisir ce texte de l’AI de mai. Enlèvé, truffé d’excellentes allusions moyennageuses, d’humour rythmé, de bravade façon farce et ce triste sort de la Dame vient ajouter au réalisme de l’histoire ! On est assommé par incarnation ! Joli tour de passe passe Licorne ! Ce chevalier n’avait probablement pas mérité de mourir ainsi mais sinon pas de conte de sécurité. Bravo c’est du haut niveau comme on dit !
RépondreSupprimerMerci, cher Anonyme, pour cette critique louangeuse...
Supprimerqui me fait plaisir bien grand...
Puis-je vous lire en d'autres lieux ?
Très drôle, mais pas que. On souhaite tous la libération de dame Liberté mais hélas, elle semble de plus en plus être enchaînée.
RépondreSupprimerOn est bien d'accord...
SupprimerC'était le fond de mon texte...en effet.
Que voilà un récit bien enlevé, on s'y croirait....
RépondreSupprimerMerci Gibulène !
Supprimer