Nous étions une bande de petits gars bien ordinaires, tous issus du village de Charlebois, et, ce matin-là, nous passions notre certificat d'études.
Motivés par les recommandations de nos parents, qui voyaient en ce diplôme le Graal pour une future ascension sociale, alors que, du haut de nos quatorze ans, nous n'y voyions qu'une corvée rébarbative, nous trempions avec application nos plumes dans l'encrier, tandis que l'instituteur, vêtu d'une blouse grise et flanqué d'une moustache de la même nuance, nous dictait lentement le texte suivant :
" Qui l'eût cru ? Mon voisin, maire du village, et bouilleur de cru, eut, une fois, une cuite mémorable, et sa popularité, aussitôt, décrut. Il faut dire que cet épisode regrettable et regretté, ne fut pas dû à l'excès d'eau-de-vie, mais à sa passion pour le whisky, qu'il buvait sec. La discorde survint entre lui et un personnage haut-placé qui s'offusqua de ses propos déplacés. Cela lui coûta sa place : Lucien Pinard, dit Lulu, ne fut pas réélu. A l'arrivée des perce-neige, il fut remplacé par un jeunot, un blanc-bec qui ne buvait que de l'eau. Le nouveau-venu ne manquait pas de toupet : il diffama habilement son prédécesseur : on le crut...Peu de temps après, il devint le porte-fenêtre...euh, pardon, le porte-drapeau de la ligue antialcoolique, son prestige s'accrut... et cette réputation lui ouvrit les portes vers...la ...députation." Point final.
Relisez-vous, jeunes hommes !
Je me relus. La tête entre les mains, je lus et relus l'histoire du pauvre Lulu et je plaçai, au hasard, les traits d'union, les doubles consonnes et les accents sur les "u"... Ma façon d'orthographier la politique locale, manifestement, n'a pas pas plu...car les bancs de l'école, de ce jour, je ne les revis plus.
J’en fus reconnaissant car je savais maintenant où regarder pour répondre à l’inévitable question : ça va encore durer longtemps ? Dieu merci, le calvaire ne dura pas. Ce matin-là, grâce à Lulu, je reçus une note éliminatoire et ce fut le terme libérateur de mon parcours pédagogique ainsi que celui de mes camarades de Charlebois, qui, eux non plus, dans ce domaine, ne cassaient pas sept pattes à une mouche.
Cependant, la vie n'est pas exempte de surprises : trente ans plus tard, quand j'eus pris de la bouteille, je devins maire...et bouilleur de cru ! Qui l'eût cru ?
La Licorne
Pour le Jeu 95
et pour l'Agenda ironique de juin,
proposé par Sabrina
.
Il s'agissait de mettre à l’honneur des gens ordinaires,
leurs tracas, leurs tralalas, leurs tragédies
un matin de changement !
Il fallait également placer les 6 mots suivants :
porte-fenêtre / whisky / discorde / toupet /
perce-neige / bouilleur de cru...
et puis glisser, au début ou à la fin, cette phrase
« J’en suis reconnaissant.e car je sais maintenant où regarder
pour répondre à l’inévitable question […]
ça va encore durer longtemps ? »,
et enfin créer une locution introuvable
(à partir d'expressions déjà connues) !
.
bien joué, bien combiné, tout ça, avec les diverses consignes! bravo :-)
RépondreSupprimerMerci Adrienne !
RépondreSupprimerDe la part d'une enseignante, c'est flatteur !
Au fait, les "mémoires d'un âne" (avec ou sans bonnet), ça ne te tente pas ? ;-)
Oui, un tout grand bravo.
RépondreSupprimerChapeau bas vous dit Mme Chapeau
Un chapeau avec deux grandes oreilles ? :-))
SupprimerJ'en reprendrais bien un peu de ce cru, tellement il m'a plu. Jacou33
RépondreSupprimerPeut-être aurais-je dû l'écrire...
Supprimeren verres ? ;-)
Moralité : cru ou cuit, au bout, on boue. Ou qq chose comme ça 🦤
RépondreSupprimer:-)
SupprimerBouilleur de cru... ou brouilleur de cuite...
à la fin, on prend de la bouteille et on oublie les broutilles !
Jouer du mot a préférence d'écriture pour les bouilleurs de cru plutôt que l'éboueur du cru, la députation est et restera-t-elle encore longtemps le cru du graal de notre civilisation ?
RépondreSupprimerBreffeuh ! J'adore ces jeux sonores et crus s'y fiant qui font le sel de ta participation.
Quelle délicieuse dictée.
Merci Jobougon !
SupprimerAu milieu de tous ces "u", je n'ai pas ajouté la colle UHU (anachronique),
mais j'aurais pu !
Je suis sûre que les autres écriront de beaux textes aussi et que cet agenda ironique sera un bon...cru ! :-)
Encore une Pagnolade très réussie ! Qui plus est servie avec un petit accent québécois ! ;-)
RépondreSupprimerP.S. J'ai envoyé ma contribution asine. Si jamais elle se perd dans les limbes, elle est publiée et récupérable sur mon blog. http://krapoveries.canalblog.com/2024/06/et-le-soleil-s-endormit-sur-l-adriatique.html
Non, ta contribution ne s'est pas perdue...
SupprimerJe viens de la publier (il y a 15 minutes !).
Merci à toi...j'ai adoré !
Bravo, défi relevé haut la main comme d'habitude.
RépondreSupprimerMerci Isabelle-Marie !
SupprimerMais chaque sujet est un nouveau "défi"...justement.
L'habitude ne m'aide en rien... :-))
Très bien ton AI, La Licorne, et ta phrase chute, bien placée. Par contre, ta dictée m'a l'air redoutable.
RépondreSupprimerJohn Duff
Oui...je pensais la proposer à Pivot, mais...
Supprimerc'est trop tard ! ;-)
Jé tou bien nappressié se faurt joly tesquete. Merci pour se moman délissieu, La Licorne :)
RépondreSupprimerMerci, élève Tiniak !
SupprimerCé can jeu teli ke je meran conte de lintéré de laurtograff !
Si des fois qu'il s'en trouverait encore certain.e.s qui cherchent où se trouve L'A.I. de juillet/août, je réitère...
RépondreSupprimerhttps://polesiaque.wordpress.com/2024/07/07/agenda-ironique-de-lete-2024/
Merci Tiniak, j'avais bien vu...
SupprimerJ'attends août pour m'y mettre !