mercredi 21 mai 2025

Jeu 106 : "La révolution des casseroles" - La Licorne



Un jour toutes les casseroles

En eurent soudain ras-le-bol

De leur sort de domestique

De leur vie d'esclave antique

On les avait tant chauffées

Grattées, fouettées et frappées

Qu'un beau jour elles décidèrent

De ne plus se laisser faire :

De la sauteuse au poêlon

De la cocotte au chaudron

Ce fut la Révolution !


Descendues dans la cuisine

Elles produirent un tintamarre

Si monstrueux que les dames

Dans les maisons, les cantines

Sortirent de leur plumard.

 

"Donnez-nous une vie plus digne !

De celle-ci on en a marre

Marre d'être toujours aux fourneaux

On veut des jours de repos !

Laissez-nous notre dimanche !"

 Et pour bien montrer leur ire

Elles dévissèrent tous leurs manches

Et  les jetèrent sans mentir

Sur les cuisinières sans voix

Qui se demandaient en quoi

Elles avaient bien pu fauter

 

Etaient-ce les fricassées,

Les pots-au-feu, les blanquettes

Les sauces ou les côtelettes

Qui les avaient épuisées ?

 Elles repassaient les recettes

En boucle au fond de leur tête

Sans parvenir à trouver

Le sens de cette échauffourée.


Oui, je sais, vous voudriez

Connaître la fin de l'histoire

Savoir qui s'en est tiré

Et qui a pris le pouvoir

Mais j'en suis bien désolée

C'est là qu' je m'suis réveillée

Assoupie su'l'canapé...

 

 Et qu'j'ai entendu dans l'noir

Ma petite casserole chanter :

"Achète donc une bouilloire

Ce sera mieux pour ton café !"

(Faut dire que j'le prends le soir

Toujours décaféiné")

 Vite ! J'ai foncé sur le gaz

L'eau s'était évaporée

J'étais encore un peu naze

Mais incendie évité !

 

De son appel amical

Je l'ai grandement remerciée

Ma casserole musicale

Dès lors, je l'ai chouchoutée

Caressée et bichonnée...

Et depuis, je croise les doigts,

Mais ça se passe bien ma foi,

Car bien qu'elle soit syndiquée

Elle n'a plus revendiqué.


La Licorne

 




JEU 106 : "Un récit de Capet et d'épais" - Joe Krapov

 


UN RECIT DE CAPET ET D'EPAIS

 

 

- Sire ! Sire !

C’est sans même frapper à la porte que le duc de La Rochefoucauld Liancourt était entré dans la pièce où Louis s’affairait.

 - Est-ce que vous pouvez quitter votre piano deux minutes, Majesté ? L’affaire est très louche et très très grave !

Louis détestait être dérangé par des seconds couteaux lorsqu’il avait du lait sur le feu.

 - Qu’est-ce que c’est que ce barouf sous mes fenêtres ? C’est une émeute ?

- Non, Sire ! C’est une révolution ! D’un genre nouveau. Très… féminin ! Regardez vous-même !

- Venez-là et surveillez moi-ça ! Je n’aime pas les débordements !

Le roi s’approcha de la fenêtre. Au dehors des milliers de femmes de toutes origines, toutes catégories sociales confondues, Bourguignonnes, Savoyardes, de la noblesse, du tiers-état et même aussi du clergé, tapaient sur des casseroles en scandant : « Liberté ! Égalité ! Sororité ! ».

En deux coups de cuillère à pot, Louis retourna relayer le duc devant son instrument de prédilection.

 - Que veulent-elles, cette fois-ci ?

 - Vous avez entendu comme moi : la liberté de ne pas passer par les fourches caudines du mariage, l’égalité de statut et de salaire entre les hommes et les femmes et l’abolition du patriarcat.

- Et c’est en tapant sur ces pauvres casseroles qu’elles espèrent y parvenir ?

 - Pas que, Majesté ! Toutes les femmes se sont mises en grève !

 

- Grand bien leur fasse aux fesses ! Mais n’est-ce pas un peu remettre le couvert ? Il n’y a pas eu déjà une histoire comme ça dans l’antiquité ? En Prusse, je crois. Liszt ist soupe ?

- Non, Sire ce n’est pas de là, « Liszt ist soupe », c’est Lisystrata. C’est une tragédie grecque.

- Eh bien voilà ! Du coup nous héritons d’une comédie française !

 - Ce n’est pas d’une grève du sexe qu’il s’agit mais d’une grève des fourneaux. Les femmes ont décidé de cesser d’être cuisinières, boulangères, maraîchères, poissonnières, épicières, fermières, pâtissières, bouchères, chevrières, laitières et bonnes à tout faire au service des hommes. De « faire la tortore pour les butors » !

- Elles ont raison !

- Certes, peut-être… mais qu’est-ce qu’on va manger maintenant ?

- Vous, je ne sais pas, La Roche. Mais tenez, ma béchamel est terminée. Je vais mélanger avec le reste des ingrédients. Goûtez-moi un peu ça avant que je farcisse et que j’enfourne !

- C’est très bon, Majesté. Mais vous ne semblez pas du tout affolé par les événements !

 - Mon bon La Rochefoucauld, il ne vous a peut-être pas échappé que nous sommes dans les cuisines du château de Versailles. C’est là que je passe le plus clair de mon temps. Dans mon couple, c’est moi qui fais la tambouille. C’est ma façon personnelle de faire bouillir la marmite. En offrant des bouchées à la reine, je lui prouve de façon magistrale que je suis un vrai chef !

 - Mais qu’est-ce qu’on fait, Sire, avec cette révolution des casseroles ?

- Rien ! Décrétez que l’école est obligatoire pour les garçons et les filles et faites donner des cours de diététique et de cuisine aux lardons. Ça leur évitera, dans un siècle ou deux, de devenir obèses en bouffant de la merde et des nitrates ! Et maintenant sortez, j’ai mon dessert à préparer !

 

 

- Alors ? demanda le ministre de l’Intérieur au grand maître de la garde-robe. Que veut-il qu’on fasse ?

- Rien ! Il est complètement toqué ! A force d’idolâtrer sa femme, il va finir par perdre la tête !

- Comment va-t-il poser la toque, alors ?

La Rochefoucauld Liancourt, consterné, contempla le petit homme falot puis il se dit avec philosophie qu’il ne comprenait pas plus la révolution des casseroles que l’humour de ce Vendéen-là. Mais en était-ce réellement ?

Y avait-il quelque chose à comprendre, du reste, à cette époque opaque ?

 

L’Histoire, au fond, ne fait jamais que repasser les plats.

 

 Joe Krapov






mardi 6 mai 2025

JEU 106 : "La fille de cuisine" - Melisa

 


 

La fille de cuisine et le baron Hugues Ier de Castelnau  

Prenez moi s'il vous plaît.
Garde ! Faites sortir cette harpie,
Votre altesse aurait-elle d'autres mœurs ?
Robe relevée la jouvencelle s'avance.
S'envolent les actes comme les serments Mon Seigneur.
Au fond la donzelle est plutôt gironde.
Vent du diable elle l'aura bien cherché !

Et alors ! Son Altesse est-elle satisfaite ?
Retenez bien ceci mademoiselle
Plutôt périr que me déshonorer,
Votre compte est bon, sorcière.
Sarcasme Mon Seigneur !

Depuis ce jour on parle en cuisine de « La révolution des casseroles ».

Mélisa