Un jour toutes les casseroles
En eurent soudain ras-le-bol
De leur sort de domestique
De leur vie d'esclave antique
On les avait tant chauffées
Grattées, fouettées et frappées
Qu'un beau jour elles décidèrent
De ne plus se laisser faire :
De la sauteuse au poêlon
De la cocotte au chaudron
Ce fut la Révolution !
Descendues dans la cuisine
Elles produirent un tintamarre
Si monstrueux que les dames
Dans les maisons, les cantines
Sortirent de leur plumard.
"Donnez-nous une vie plus digne !
De celle-ci on en a marre
Marre d'être toujours aux fourneaux
On veut des jours de repos !
Laissez-nous notre dimanche !"
Et pour bien montrer leur ire
Elles dévissèrent tous leurs manches
Et les jetèrent sans mentir
Sur les cuisinières sans voix
Qui se demandaient en quoi
Elles avaient bien pu fauter
Etaient-ce les fricassées,
Les pots-au-feu, les blanquettes
Les sauces ou les côtelettes
Qui les avaient épuisées ?
Elles repassaient les recettes
En boucle au fond de leur tête
Sans parvenir à trouver
Le sens de cette échauffourée.
Oui, je sais, vous voudriez
Connaître la fin de l'histoire
Savoir qui s'en est tiré
Et qui a pris le pouvoir
Mais j'en suis bien désolée
C'est là qu' je m'suis réveillée
Assoupie su'l'canapé...
Et qu'j'ai entendu dans l'noir
Ma petite casserole chanter :
"Achète donc une bouilloire
Ce sera mieux pour ton café !"
(Faut dire que j'le prends le soir
Toujours décaféiné")
Vite ! J'ai foncé sur le gaz
L'eau s'était évaporée
J'étais encore un peu naze
Mais incendie évité !
De son appel amical
Je l'ai grandement remerciée
Ma casserole musicale
Dès lors, je l'ai chouchoutée
Caressée et bichonnée...
Et depuis, je croise les doigts,
Mais ça se passe bien ma foi,
Car bien qu'elle soit syndiquée
Elle n'a plus revendiqué.
La Licorne