26 Octobre 2025
Le soleil brille sauvagement derrière la vitre. Décidément, l'été indien, auquel on s'est habitué depuis quelques années, se prolonge de plus en plus tard dans la saison.
Quel jour sommes-nous exactement ? Je ne sais plus. Je sais juste que je suis en retard. J'enfile une veste à col de fourrure sur ma mini-jupette à fleurs. Eh oui, puisqu'on ne sait jamais si, le matin, il fait 10°C ou 20°C, c'est devenu compliqué de s'habiller pour sortir. Alors je mixe : vêtements légers en bas et vêtements plus chauds sur les épaules.
Rendez-vous au café du bout de la rue, m'a dit Luc. Attention, à midi tapant, après, j'ai une réunion d'affaire. Je jette un coup d'oeil à ma montre : 11h55, c'est nickel.
Finalement, la température est douce, alors je m'assieds en terrasse et je commande un thé parfumé. C'est un endroit assez sympathique, un de ces repaires végétariens qui font flores dans les villes depuis que la télé incite les gens à manger écolo et léger.
12h05 : A la table en face de moi, deux chinoises ont commandé des jus de fruits pressés et des sorbets maison. Elles les dégustent avec application tout en conversant dans une langue qui m'échappe totalement. Sur la fiche des consommations, en lettres soignées, un poème de William Blake :
12h20 : Luc n'est pas à l'heure... j'aurais dû m'en douter. Et moi, pauvre cruche, qui ai descendu les escaliers quatre à quatre. C'est ça, le drame des gens ponctuels: on passe sa vie à attendre les autres.
12h30 : Toujours seule. Enfin, plus tout à fait, car un jeune homme est venu s'installer juste à côté. Hum, il est plutôt mignon. Bronzé, sportif, la mèche rebelle et la barbe bien taillée. Malheureusement, il est accompagné d'un clébard qui lui, ne l'est pas (mignon). Bouh...une sorte de bulldog anglais, avec la même tête que celui que Jacques Doillon avait offert à Jane Birkin. Paraît qu'ils sont gentils. Et drôles. Peut-être. Mais désolée, je ne peux pas m'empêcher de penser que Jane choisissait ses chiens comme elle choisissait ses compagnons : avec un total manque d'esthétisme.
12h35 : Mon voisin commande une bière. Et dans la minute qui suit, il me demande si je peux lui garder son chien un instant, le temps d'aller aux toilettes. Cela ne m'enthousiasme guère : mais devant son sourire...ravageur, je m'entends lui répondre : "Bien sûr, avec plaisir !".
12h40 : Et voilà, je suis là, doublement cruche, au bord de la rue la plus passante de la ville, à attendre un mec qui m'a oubliée et à garder le chien immonde d'un parfait inconnu, pendant que le contenu de ma tasse refroidit à toute vitesse. Ma fille, c'est le résumé de ta vie. William Blake avait raison : une heure peut parfois ressembler à une éternité !
12h45 : Une ambulance passe. Tous feux clignotants dehors. Sirène "tri-ton" à plein volume.
Et là, horreur...le clébard au museau aplati se lève d'un bond et sans crier gare, se lance à sa poursuite...Agrippée à l'autre bout de la laisse, je tente de le retenir, mais rien n'y fait...je suis emportée par une boule de muscles plus forte que moi. Je galope ainsi sur le trottoir pendant une trentaine de mètres ...jusqu'au moment où, c'était fatal, la laisse se prend dans quelque chose ! Avant d'avoir pu voir de quoi il s'agit, je m'affale de tout mon long, devant une quinzaine de passants ébaubis.
12h50 : Sonnée, je me relève avec difficulté. J'ai mal partout. Une main se pose sur mon épaule. C'est le beau barbu.
"Je suis vraiment désolé, dit-il. Titus est incorrigible. Si vous le permettez, je peux vous accompagner jusqu'à la prochaine pharmacie ?" Je regarde mes genoux en sang, mes coudes tuméfiés... J'ai envie de le maudire, lui et son chien. Mais ai-je vraiment le choix ? Je m'accroche doucement à sa taille et je pars en boitillant...
.....12h05 : Luc arrive au café. Il s'installe et commande une bière à la framboise.
Il s'agissait de jouer un peu autour de l'heure d'hiver,
de placer dans le texte
les quatre vers du poème de William Blake
et d' ajouter l’expression suivante :
« dame d’onze heures »,
en n'oubliant pas de saupoudrer le tout
d'une pincée d'ironie...
.
+ Consignes du jeu 87
à lire ICI
Merci pour cette participation La Licorne ! Ton récit est à l'image d'une scène de cinéma. Me suis régalée à te lire, pour tout te dire, je n'ai pas vu passé l'heure ;)
RépondreSupprimerLaurence
Merci beaucoup, Laurence !
SupprimerFaut dire que le thème était inspirant...
Petit détail en passant : pourrais-tu utiliser mon pseudo ?
(je réserve mon prénom aux correspondances privées)
Merci d'avance.
quelle imagination ! et le tout narré avec soin j'ai adoré ce texte inspiré.
RépondreSupprimerMerci Lilou !
RépondreSupprimerEt toi, tu participes ?
J'adore !
RépondreSupprimerEt ça aussi " C'est ça, le drame des gens ponctuels: on passe sa vie à attendre les autres."
Je me demande ce qui se passe quand un retardataire compulsif a rendez-vous avec un autre retardataire compulsif, chacun comptant sur le retard de l'autre.
J'en connais, j'en connais...(des retardataires compulsifs).
SupprimerBen, entre eux, avec un peu de chance, ça "colle" ! ;-))
J'adore ! ah ce changement d'heure, il en aura perturbé du monde ;-)
RépondreSupprimerMême moi...
SupprimerJe dois vous avouer qu'au premier jet (du texte) ,
j'ai calculé le changement à l'envers !!!
J'ai dû réécrire les horaires...
Pas brillant, au bout de 47 ans ! :-)
Normal les chinoises du nord mangent leurs mots surtout en mangeant :)
RépondreSupprimerLa relation entre la onzième heure et les changement de temps liés au jour le plus long coule de source, sans forcer l’artificiel. Bravo ...
Pour le poème, c’est bien trouvé
Bien écrit, pris par le recit, j’ai aimé
À te relire
Lotharquejamais
Merci Lothar !
RépondreSupprimerOui, c'est un de mes principes : je veille toujours, dans la mesure du possible, à ce que le texte "coule de source"...je n'aime pas trop les trucs "tarabiscotés" qui sentent la sueur ni les "collages sans queue ni tête"...J'aime que ça a l'air "facile" (même quand ça ne l'est pas) ;-)
bien joué avec le changement d'heure!
RépondreSupprimerEt du coup, son barbu chevalier servant, dans l'intimité, elle l'appelle comment... Mon lapin d'amour ?
RépondreSupprimerBien vu, La Licorne 👏
Je ne sais pas...personne ne les a revus ni l'un ni l'autre : sont peut-être occupés ? ;-)
RépondreSupprimerBonne fin de week-end, Tiniak !
John Duff
RépondreSupprimerAh, ah, ah. J'ai ri de bon cœur en lisant ton histoire. La dame d'onze heures et le changement d'heure sont très bien amenés.
Merci John ! L'histoire m'est venue très naturellement...à partir de la photo et des contraintes de l'Agenda ironique...Par chance, les deux étaient assez compatibles et ont guidé gentiment mon imagination.
Supprimertrop bien, on dirait le début d'un film.... Luc va-t-il être remplacé ??? on s'y croirait :-) merci
RépondreSupprimerOn va le tourner ce film...:-)
SupprimerD'ailleurs, je verrais bien Onésime comme réalisateur ! ;-)
c'est une option :-)
SupprimerJ'ai tout vu! La terrasse, les petites chinoises, le beau barbu et la dame d'onze heures, j'ai tout eu dans la tête. Chouette texte 👍
RépondreSupprimerC'est pour ça qu'on lit, je crois : pour se faire son propre film et ses propres images !
Supprimer(faculté qui se perd de plus en plus, à l'heure des écrans omniprésents qui nous imposent leurs visions préfabriquées)
On ne dira jamais assez les bienfaits de la surconsigne ! La chute est hilarante ! Bravo pour ce sketch effetcivement très cinématographique !
RépondreSupprimerMerci Joe !
SupprimerExcellent, ce clin d'oeil à la dame d'onze heures. Bravo pour ce texte très comique et très réaliste ! Je pense que plusieurs se reconnaîtront dans l'un ou l'autre des personnages 😄.
RépondreSupprimerJ'ai adoré ton histoire. Qui de Luc ou du beau barbu gagnera le coeur de la dame, l'avenir nous le dira. J'ai bien aimé également la manière dont tu as mis le poème de Black au menu.
RépondreSupprimerZut mon commentaire n'est pas signé,
RépondreSupprimerJohn Duff
La poésie a envahi les restaurants (surtout ceux qui se veulent novateurs et branchés), tu n'avais pas remarqué ? Bon, pour de vrai, il y aurait eu, en plus , quelques fautes d'orthographe...;-)
SupprimerHahaha vivent les chiens romains, vivent les changements d'heures et à bas les Luc qui arrivent en retard même à l'heure !
RépondreSupprimerMerci ! Mais qui es-tu, mystérieux "J" ???
SupprimerAdorable et malicieux, ce texte joue avec un destin pas rosse pour une fois, on en redemande 🙂
RépondreSupprimerLyssamara
Merci Lyssamara ! Le destin (ou le hasard) nous sera-t-il favorable...ou pas ? Personne ne le sait...et c'est ça qui fait le "sel" de la vie !
Supprimerde la grande Licorne !!
RépondreSupprimerou du grand La Licorne ?
et tu t'es bien débarrassé de Blake, entre les smoothie et le thé framboise des iles :)
Carnets
Me débarrasser de William Blake ? Moi ?
SupprimerPas du tout.
En fait, je suis une fervente admiratrice de ce "grand" monsieur...
Ces quatre vers m'accompagnent depuis longtemps.
La preuve :-) :
https://fabulo.blogspot.com/2009/03/linfini-dans-la-paume-de-la-main.html