Je m’appelle Amandine, comme celle de
France, celle d’avant la loi de 1983. Vous voyez sûrement de qui
je veux parler, Amandine, le bébé-éprouvette née en 1982 à
l’hôpital Béclère à Clamart.
Sur mon passeport il y a écrit :
date de naissance : 2103, cent vingt et un ans après l’Autre.
J’ai quinze ans.
Si j’avais vu le jour en Angleterre,
je me prénommerais peut-être Louise. Elisabeth pour une naissance
aux States, Durga pour l’Inde, comme les prénoms des
bébés-éprouvettes des années 1970-80. Mais j’ai vu le jour en
France, mes parents m’ont donc choisi le prénom d’Amandine.
En hommage.
Après la naissance d’Amandine (celle
de 1982), des voix ont hurlé au loup, à la manipulation, au crime
de lèse-genétique, à l’hérésie, j’en passe... En 1983, la
loi a interdit en France toutes les fécondations in vitro.
Bizarrement, tous les pays n’ont pas
tardé à faire pareil.
Je dois ma vie à cette loi. La loi a
interdit toutes les fécondations in vitro, que ce soit avec des
« Porteuses » ou avec des « Biologiques », il
a bien fallu trouver des utérus pour les couples en mal d’enfant.
Le désir d’enfant est LE désir du 21ème siècle.
Je suis un prototype, le résultat de
presque un siècle d’essais d’implantation d’embryons dans ces
réceptacles : utérus d’éléphants, de vaches (il n’y a
guère que les chats et les souris qui n’ont pas servi de cobayes …
pour des raisons de taille of course.
Ma « Biologique » est une
femme tout ce qu’il y a de plus courant, c’est une spécialiste
en éthique ; mon père est également un représentant des humains,
médecin.
Ma mère (de gestation) est une poulinière, dans ces enceintes que l’on appelle maintenant les « usines à bébé », « votre Porteuse vivra loin de la pollution des agglomérations et nous soignons le cadre pour fonder votre famille » (dixit le prospectus) . Les juments offrent une résistance hors du commun en ce qui concerne l’implantation d’embryons. La gestation dure 11 mois et 11 jours. Si j’étais née « normalement » je ne serais restée que neuf mois dans le ventre de ma mère : cela n’a semble-t-il pas affecté mon intellect.
Je suis une hybride, femme à
l’extérieur mais jument à l’intérieur. Je dois la vie à
une loi de plus d’un siècle et à des essais dans des
laboratoires.
Mes parents ne m’ont jamais caché
l’origine de ma naissance, ils se sont bien occupés de moi, ils
m’ont régulièrement emmenée chez le psy dès que j’ai montré
des signes de contestation : à trois ans, j’ai décidé de ne
me coiffer qu’avec une queue de cheval (nuit et jour).
De temps en temps, je vais voir ma mère
à quatre pattes. Elle ne me reconnaît pas. Je lui apporte des
friandises, carottes et pommes. Elle porte régulièrement un
bébé-humain. Je me demande si elle sent ce cœur qui bat dans son
flanc et si elle se rend compte lors de l’opération qu’on lui
retire une part d’elle-même.
Depuis quinze ans, la vie a changé :
les femmes ont le choix de porter leur enfant ou de recourir à ces
juments. L’utopie de la liberté de procréation est une réalité.
Les femmes ne voient plus arriver la quarantaine avec effroi, leur
« horloge » ne leur rappelle plus l’urgence de trouver
un géniteur. Au vingtième siècle, les femmes disaient : «un
enfant, si je veux et quand je veux », depuis peu on
entend « un enfant, si je veux, quand je veux et où je veux ».
Certaines femmes hésitent à se voir grossir, enfler, pour avoir un
enfant.
Les poulinières leur ont donné un don
d’ubiquité : les femmes restent au boulot pendant leur
grossesse, elles surveillent l’évolution de la gestation avec une
caméra, elles ne sont pas un poids pour la société, pas de
nausées, pas de pathologies.
Les us et coutumes bougent lentement
mais je gage que dans 100 ans, il y aura autant de bébés de
« couveuses » que des bébés d’utérus »
comme on les appelle. Je me demande bien pourquoi cette distinction :
les autres aussi grandissent dans un utérus.
Je suis un cobaye : on a mesuré
toutes les semaines mon QI depuis ma naissance. Que dis-je, bien
avant ma naissance. Déjà in utéro, je me sentais comme le lait qui
bout sur le feu ! J’ai vu dans les magazines des photos de ma
poulinière : on lui avait branché des électrodes, sortes
d’ustensiles de toutes couleurs, sur le ventre pour suivre cette
croissance. Un fil pour l’activité du cerveau, un fil pour la
circulation du sang, un fil pour suivre l’activité des nerfs, et
j’en oublie.
Vous vous demandez pourquoi j’écris
ce début d’histoire : Eh bien, j’ai l’impression
d’usurper la vie d’un autre, j’ai à peine quinze ans et tant
de surveillance m’oppresse.
Aujourd’hui je commence ma crise
d’adolescence. Ce matin, devant mon bol de flocons d’avoine,
j’ai lancé cet ultimatum à mes parents (les z’umains).
« C’est décidé, demain je commence des études de
vétérinaire ».
Dans les yeux de
ma mère, j’ai vu que cet uppercut la heurtait, elle me voyait déjà
avec une blouse de médecin-obstétricien.
.
C'est brillantissime, Valentyne !
RépondreSupprimerLe genre de texte chevalin qui ne peut que plaire à une Licorne comme moi...
Venant d'une jument verte, en plus ! ;-)
Bon, ceci dit, avec ce qu'on nous prépare comme manip' génétique, on peut effectivement craindre le pire...j'espère que tu as tort...!!!
Quant aux deux adjectifs que tu dis avoir "laissé passer", je n'en vois pas trace...
Il y en a bien un ou deux, mais ils sont "substantifiés" , c'est-à-dire utilisés comme des noms. Les "Porteuses, les "Biologiques" et ça, c'est permis !
Ah oui, tu as raison, il y avait un être "humain" (que tu as corrigé).
SupprimerMais "je suis née", ou "née en 1982", c'est le participe passé du verbe naître, ce n'est donc pas la peine de le retirer.
Je suis allée vérifier.
Le seul cas où "née" est un adjectif qualificatif, c'est quand on dit , par exemple, "Cette personne est bien née" (dans le sens : elle a des origines nobles).
Par contre...j'ai peur que le mot "courant" (juste au-dessus de la deuxième photo), dans l'expression "tout ce qu'il y a de plus courant" soit , lui, ...un adjectif !
SupprimerLes manipulations génétiques version la Jument verte, ça donne un texte particulièrement savoureux !
RépondreSupprimer¸¸.•*¨*• ☆
Superbe texte plein de questions et d'humour, qui fait réfléchir aux enjeux de la bio-éthique ( on a droit aux adjectifs dans les commentaires j'espère !!! ;-) )
RépondreSupprimer