Une voix de sépulcre résonna dans les
amplificateurs à propagation d’ondes de tribennialité Alpha. Les
visiteurs rechargèrent leurs cartouches d’oxygène aux
distributeurs à prigons que l’on trouvait à l’entrée. Il
régnait une atmosphère d’étrangeté dans cette partie du
Mémorium de la Galaxie. Quelques privilégiés parmi les Citiziens
avaient été autorisés à voir les salles que l’on fermait
habituellement au public, de par leur nocivité sur les esprits. Et
ce, pour un moment seulement, et sur ordre de la Police des Espaces.
On était en 2118. Ensuite, le muséum refermerait ses portes. Sa
Félicité le Chef Ultimus aurait le droit d’y accéder, et
seulement lui.
« Mesdames, messieurs, nous
pénétrons maintenant dans la salle du Millénaire de la
Malédiction. Le tableau que vous voyez devant vous a une valeur que
l’on ne saurait estimer. Un individu l’a peint juste avant le
Réalignement de 2020. Les historiens s’accordent à dire qu’il
marque le début de l’Ere de la Calamité. Il représente la
Prêtresse Ségolénia, en méditation devant un des symboles de la
Décadence et des Archaïsmes. En ces temps d’effondrement, les
habitants de la Planète s’appelaient encore les Hommes, ils
étaient divisés en multitudes de groupes, aux noms de continents,
nations, cliques, ligues, partis, classes. Ils n’avaient pas encore
eu la Révélation de la Suprématie. Chacun parlait sa langue. Ils
se battaient donc constamment, pour la survie, pour l’argent, pour
le pouvoir. Ces luttes occupaient le plus clair de leurs vies sans
longueur ni profondeur.»
Un murmure de frissons parcourut
l’assistance. L’irréalisme de ces temps hors-mémoire
apparaissait aux Citiziens comme le signe d’une déchéance que
personne n’aurait songé à mettre en doute. Les mots eux-mêmes
appartenaient à un passé que tout le monde semblait avoir oublié.
Au fur et à mesure que la Voix décrivait les mœurs cette époque
de troubles et de trivialité, on pouvait palper le dégoût sur les
visages.
« L’élément au centre du
tableau représente une « rose », appartenant à une catégorie
d’objets que l’oubli a relégué au rang de « reliquats du temps
». Ces objets dits « de la nature » s’appelaient des «
fleurs ». Les objets de la nature dans leur ensemble ont disparu à
la fin du 21° siècle, avec la découverte de la tribennialité et
des extra-synthéticoïdes que nous connaissons aujourd’hui, et
surtout depuis l’invention des organismes de substitution au
plurimétabiologisme … »
Les visiteurs se regardèrent dans
l’hébétude et l’abasourdissement, cependant que la Voix
continuait son monologue qui ne laissait d’ahurir l’auditoire. La
difficulté était d’imaginer des êtres que la vie eût contraints
à se nourrir d’organismes pour vivre, à se reproduire, à se
battre pour des territoires. Seuls les rats et les fourmis avaient
continué à suivre ces schémas de l’archaïsme, mais cela avait
causé leur disparition. Quant aux quelques mots accompagnant les
tableaux… Un ésotérisme sans substance les nimbait, si bien que
nul ne comprenait plus leur sens depuis longtemps : démocratie,
vote, lutte des classes, capitalisme, socialisme.
Sa Félicité Le Chef Ultimus avait
tout prévu. La linéarité de l’existence. En douceur et sans
faille. Sans rides. Sans luttes. Jusqu’au jour du Convoi Ultimus
Programmus, où l’on devait partir pour une planète sans oxygène.
Chaque jour les ordinateurs calculaient le nombre de naissances dans
les incubateurs, et de là, le nombre des Citiziens en partance. Les
entrées et les sorties de la planète devaient s’équilibrer. Le
nombre de Citiziens au maximum, dont la justesse n’était plus à
prouver, était, pour l’éternité, de 25 milliards. Tous
acceptaient la règle. Ils n’avaient pas le choix.
Ils sortirent du Mémorium et passèrent
dans une Salle de Réajustement, afin de se faire nettoyer le cerveau
aux ondes de Félicité.
Dans le ciel, les trois Soleils brillaient. Tout était en état de perfection et de joie.
Dans le ciel, les trois Soleils brillaient. Tout était en état de perfection et de joie.
Entre le "Millénaire de la Malédiction" et la "linéarité de l'existence" je ne sais pas ce qu'il vaut mieux vivre... enfin si... :)
RépondreSupprimerUn futur à l'image de ce que peut nous réserver demain. Décidément il n'y a pas besoin d'aller chercher loin pour l'imaginer. Un texte puissant.
Merci beaucoup Laurence !
SupprimerUn texte puissant qui m'a demandé du boulot pour faire la chasse aux adjectifs...
Et qui s'ennuyait un peu tout seul ;-)
Bises
Arghhh ! Plus que de l'artificiel...plus de nature...je crois que je ne pourrai survivre dans ce monde-là...!
RépondreSupprimerC'est fort bien écrit, Célestine...et tout cela me fait fortement penser au "Meilleur des mondes" d'Aldous Huxley. Impérissable cette façon qu'ont les humains de considérer que leur époque est forcément la meilleure, qu'elle est celle où l'on a atteint le "summum" du progrès et de la civilisation...
Merci pour ta participation et bises très chaleureuses!
Bravo pour ce tour de force, Célestine!
RépondreSupprimerEn espérant qu'on n'en vienne jamais là...
je préférerais même l'anéantissement.
Mais enfin, je n'y serai plus!
Michelle
Merci à toutes les deux.
Supprimer¸¸.•*¨*• ☆