Lorsque les frères Montecciari descendaient sur la place, sur le coup de six heures, faire leur partie de pétanque, c’était à chaque fois comme si le village engourdi par le chant des cigales se réveillait d’une trop longue sieste estivale.
Des volets s’ouvraient, des gens sortaient de chez eux et venaient s’agglutiner à l’ombre des platanes, les caquetages des commères reprenaient mais c’étaient surtout les porteurs de gapettes et de marcels, les individus de sexe masculin qui venaient assister à la joute boulistique.
Ce n’était pas parce que Pin-Pon, Mickey ou Bou-Bou jouaient comme des chefs qu’on prenait une heure de son temps pour suivre les évolutions de huit boules et d’un cochonnet sur le gravier. C’est surtout que le garagiste-pompier, l’aîné, Florimond, qu'on surnommait Pin-Pon, venait de se marier avec Celle-là, une estrangère de vingt ans d’âge, jolie comme un coeur, le coeur sur la main et qui faisait copain comme cochon avec tous et toutes, même avec Mademoiselle Dieu l’austère institutrice qui regardait tout le monde de haut. Mais chez nous en Provence, pour peu qu’on soit élevé ne serait-ce que d’un peu au-dessus du niveau de la mer on toise tout le monde. Les femmes savent très vite par exemple qu’il ne faut attendre que des crudités de la part des hommes, au mieux des parties de jambons et donc que les gars ne valent pas tripette. Elles se font dévorer des yeux, accordent une danse au bal, une sérénade au lit et puis après on leur demande de faire bouillir la marmite toute une vie durant, de faire des ratatouilles, des aïolis, des mioches, d’acheter le Nutella qui va avec et le « Télé sept poches » pour connaître les films qui passent à la télé.
Qu’attendre d’autre de ces médiocres nés au village, ayant trouvé du travail au village et qui mourront au village en ayant rêvé toute leur vie qui de gagner la course cycliste de Digne et de devenir un Eddy Merckx de sous-préfecture, qui de transplanter un moteur de Jaguar dans une carcasse de Delahaye, qui de toucher un héritage supposé d’une tante grippe-sous soupçonnée de cacher des trésors dans un vieux poêle en fonte qui ne sert plus qu’à ça ? Mais elles, les pauvresses, qu’avaient-elles fait depuis leur titre de Miss Camping-Caravaning 1974 ou leur CAP de coiffure pour dames ?
Bref tout baignait dans la normalité giscardienne de ce qu’on nommerait plus tard les Seventies ou la fin des trente glorieuses, une période qu'aujourd’hui, du reste, va comprendre, Charles, on regrette presque !
De fait c’est bien Eliane ou Elle ou Celle-là, la greluche de Pin-Pon, que l’on venait admirer. Elle non plus ne jouait pas si bien que ça, pour la bonne raison, seule chose très bien cachée du reste chez elle, qu’elle était myope comme une taupe. Mais au jeu de boules il y a deux cas de figure : ou bien tu sais jouer, plomber, faire rouler, évaluer le terrain, donner des effets, placer, ou bien tu as du cul.
Le croirez-vous ? Eliane avait du cul, et pas qu’un peu ! On se souviendra toujours de cette partie où ,treize fois d’affilée, elle a fait soit un carreau sur la boule collée au petit soit un roulé-emporté au dernier tir, sa boule traînant avec elle le bibi loin du cercle où s’étaient amassées les boules des autres.
- Bon, ben les gars, a dit Henri IV, le patron du garage où bossait Pin-Pon, il ne vous reste plus qu’à embrasser le cul de Fanny !
- Oui, c’est bon, on la paie, la tournée d’apéros ! ont concédé Mickey le cycliste à casquette rouge et Bou-Bou le lycéen qui arborait le tee-shirt à l’effigie de sa belle-sœur que Celle-là lui avait offert.
Pour ce qui est d’embrasser du regard celui d’Eliane qui débordait gracieusement de son petit bikini rouge tout le monde avait déjà officié et rêverait la nuit de plus d'affinités encore.
Tout cet été-là Éliane leur a tué la partie comme ça. C’est pour ça et à cause de la sécheresse et des incendies de forêt dans la région qu’on l’a appelé "l’été meurtrier", celui de 1976.
Et puis le 31 du mois d’août, sans même que se pointât à l’horizon une frégate d’Angleterre, elle a perdu la boule. Elle a couru derrière, elle a disparu, il paraît qu’elle court toujours après le point. On ne l’a jamais retrouvée, la belle.
- Dès qu’elle se repointe je tire ! déclare Pin-Pon tous les soirs au bistrot. Ce fou a scié le canon de son fusil à deux coups et attend, décidé à faire un carton sur celle qui a fait les siens.
Nous, même si on était tous jaloux de sa chance, si elle se repointe je ne sais pas si on rêvera encore de la tirer.
C’est vrai que ce ne sont pas des façons de mettre les adjas. Ni bonjour, ni au revoir, tout un village allumé façon Poupoupidou par une vamp Marilynesque puis laissé en plan sans prévenir! Voilà comment ça commence la désertification des campagnes !
C’est comme un long dimanche de fiançailles et puis, juste avant la noce, une fille qui disparaît dans une auto avec des lunettes et un fusil. Adieu, les amis !
Et d’ailleurs, il y a quelque chose de bizarre dans cette histoire. Très peu de temps après, l’institutrice, mademoiselle Dieu, a quitté elle aussi le village. Mais elle, malgré ses seins volumineux, à cause de son côté infante hommasse et de son teint olivâtre, elle ne faisait fantasmer personne.
Des volets s’ouvraient, des gens sortaient de chez eux et venaient s’agglutiner à l’ombre des platanes, les caquetages des commères reprenaient mais c’étaient surtout les porteurs de gapettes et de marcels, les individus de sexe masculin qui venaient assister à la joute boulistique.
Ce n’était pas parce que Pin-Pon, Mickey ou Bou-Bou jouaient comme des chefs qu’on prenait une heure de son temps pour suivre les évolutions de huit boules et d’un cochonnet sur le gravier. C’est surtout que le garagiste-pompier, l’aîné, Florimond, qu'on surnommait Pin-Pon, venait de se marier avec Celle-là, une estrangère de vingt ans d’âge, jolie comme un coeur, le coeur sur la main et qui faisait copain comme cochon avec tous et toutes, même avec Mademoiselle Dieu l’austère institutrice qui regardait tout le monde de haut. Mais chez nous en Provence, pour peu qu’on soit élevé ne serait-ce que d’un peu au-dessus du niveau de la mer on toise tout le monde. Les femmes savent très vite par exemple qu’il ne faut attendre que des crudités de la part des hommes, au mieux des parties de jambons et donc que les gars ne valent pas tripette. Elles se font dévorer des yeux, accordent une danse au bal, une sérénade au lit et puis après on leur demande de faire bouillir la marmite toute une vie durant, de faire des ratatouilles, des aïolis, des mioches, d’acheter le Nutella qui va avec et le « Télé sept poches » pour connaître les films qui passent à la télé.
Qu’attendre d’autre de ces médiocres nés au village, ayant trouvé du travail au village et qui mourront au village en ayant rêvé toute leur vie qui de gagner la course cycliste de Digne et de devenir un Eddy Merckx de sous-préfecture, qui de transplanter un moteur de Jaguar dans une carcasse de Delahaye, qui de toucher un héritage supposé d’une tante grippe-sous soupçonnée de cacher des trésors dans un vieux poêle en fonte qui ne sert plus qu’à ça ? Mais elles, les pauvresses, qu’avaient-elles fait depuis leur titre de Miss Camping-Caravaning 1974 ou leur CAP de coiffure pour dames ?
Bref tout baignait dans la normalité giscardienne de ce qu’on nommerait plus tard les Seventies ou la fin des trente glorieuses, une période qu'aujourd’hui, du reste, va comprendre, Charles, on regrette presque !
De fait c’est bien Eliane ou Elle ou Celle-là, la greluche de Pin-Pon, que l’on venait admirer. Elle non plus ne jouait pas si bien que ça, pour la bonne raison, seule chose très bien cachée du reste chez elle, qu’elle était myope comme une taupe. Mais au jeu de boules il y a deux cas de figure : ou bien tu sais jouer, plomber, faire rouler, évaluer le terrain, donner des effets, placer, ou bien tu as du cul.
Le croirez-vous ? Eliane avait du cul, et pas qu’un peu ! On se souviendra toujours de cette partie où ,treize fois d’affilée, elle a fait soit un carreau sur la boule collée au petit soit un roulé-emporté au dernier tir, sa boule traînant avec elle le bibi loin du cercle où s’étaient amassées les boules des autres.
- Bon, ben les gars, a dit Henri IV, le patron du garage où bossait Pin-Pon, il ne vous reste plus qu’à embrasser le cul de Fanny !
- Oui, c’est bon, on la paie, la tournée d’apéros ! ont concédé Mickey le cycliste à casquette rouge et Bou-Bou le lycéen qui arborait le tee-shirt à l’effigie de sa belle-sœur que Celle-là lui avait offert.
Pour ce qui est d’embrasser du regard celui d’Eliane qui débordait gracieusement de son petit bikini rouge tout le monde avait déjà officié et rêverait la nuit de plus d'affinités encore.
Tout cet été-là Éliane leur a tué la partie comme ça. C’est pour ça et à cause de la sécheresse et des incendies de forêt dans la région qu’on l’a appelé "l’été meurtrier", celui de 1976.
Et puis le 31 du mois d’août, sans même que se pointât à l’horizon une frégate d’Angleterre, elle a perdu la boule. Elle a couru derrière, elle a disparu, il paraît qu’elle court toujours après le point. On ne l’a jamais retrouvée, la belle.
- Dès qu’elle se repointe je tire ! déclare Pin-Pon tous les soirs au bistrot. Ce fou a scié le canon de son fusil à deux coups et attend, décidé à faire un carton sur celle qui a fait les siens.
Nous, même si on était tous jaloux de sa chance, si elle se repointe je ne sais pas si on rêvera encore de la tirer.
C’est vrai que ce ne sont pas des façons de mettre les adjas. Ni bonjour, ni au revoir, tout un village allumé façon Poupoupidou par une vamp Marilynesque puis laissé en plan sans prévenir! Voilà comment ça commence la désertification des campagnes !
C’est comme un long dimanche de fiançailles et puis, juste avant la noce, une fille qui disparaît dans une auto avec des lunettes et un fusil. Adieu, les amis !
Et d’ailleurs, il y a quelque chose de bizarre dans cette histoire. Très peu de temps après, l’institutrice, mademoiselle Dieu, a quitté elle aussi le village. Mais elle, malgré ses seins volumineux, à cause de son côté infante hommasse et de son teint olivâtre, elle ne faisait fantasmer personne.
Eh...mais tu la connais parfaitement, l'histoire !
RépondreSupprimerEt tu as parfaitement inséré la pétanque, dans ce récit de "branques" (-ignols)
J'ai adoré te lire...
Tu as dû être femme dans une autre vie, pour résumer aussi bien le destin féminin (à une certaine époque) :
"Elles se font dévorer des yeux, accordent une danse au bal, une sérénade au lit et puis après on leur demande de faire bouillir la marmite toute une vie durant, de faire des ratatouilles, des aïolis, des mioches, d’acheter le Nutella qui va avec et le « Télé sept poches » pour connaître les films qui passent à la télé."
Et puis tu m'as rappelé des souvenirs...l'été 76, entre autres.
Merci Joe !
Aïe, cruel destin, Dieu n'a pas reconnus les seins ?
RépondreSupprimer:-))
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