lundi 18 novembre 2024

JEU 100 et 200ème Devoir du Lundi : "Les amoureux du Pont-Neuf"

 

 

 

 

Marie sortit pour la dixième fois son portable.  Le SMS d'hier soir était clair : 

"Rends-toi sur le Pont-Neuf, trouve le cadenas vert fluo au tout début du pont et retrouve-moi à l'endroit indiqué dessus".

Léo adorait ce genre de jeu de piste du style "Amélie Poulain". Avec lui, pas de routine, on était toujours dans l'imprévu...et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles elle l'aimait tant. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps : deux semaines à peine, mais c'était déjà l'amour fou. Elle, petite étudiante sage tout juste débarquée à Paris ; lui, beau et grand mec, parisien, sportif et enthousiaste, avec une imagination débordante et un coeur gros comme ça.

Elle l'avait rencontré par hasard, sur un quai de métro. Elle était très très chargée et il lui avait proposé ses services pour porter l'un de ses sacs. Elle savait que c'était la dernière chose à faire avec un inconnu, qu'il pouvait s'enfuir avec...mais elle avait lu une certaine honnêteté dans ses yeux et sans trop réfléchir, elle avait dit oui. Ensuite, pour le remercier, elle lui avait payé un verre...et puis rapidement, le charme avait opéré. Ils avaient échangé leurs numéros de téléphone, s'était revus le surlendemain, puis presque tous les jours. 

Il ne ressemblait pas aux autres garçons, il était beaucoup plus mystérieux, plus joueur aussi. Il ne lui avait pas dit où il habitait, ni ce qu'il faisait dans la vie. Et il n'avait pas demandé grand chose sur elle, non plus. "L'amour se nourrit de mystère, avait-il dit, dans un grand sourire. Laissons-nous un peu de temps...pour nous découvrir, tout doucement."

Pas de problème : la lenteur lui convenait bien, à elle aussi, elle n'aimait pas être brusquée. Cela faisait donc deux semaines qu'ils jouaient, comme des enfants, à se donner des rendez-vous dans des endroits incongrus...à se perdre puis à se retrouver...

Elle quitta la station de métro, et se dirigea d'un bon pas, toute guillerette, vers le pont. Au bout de cent mètres, elle fut arrêtée par une barrière. 

"On ne passe pas, ma p'tite dame ! Pas aujourd'hui !

- Ah bon, que se passe-t-il ?

- On est en pleins travaux...pour décrocher les cadenas. Ordre de la mairie...ça devenait trop lourd...Pensez donc, y'en a plus de trente tonnes ! 

- Je ne peux donc pas aller récupérer le mien ? Je vous en serais très reconnaissante...

- Non, mais vous voulez rire ! Si tout le monde nous fait la même demande que vous, on revient dans six mois...Allez, faites une bise à votre amoureux et rachetez-un vite un autre !"

C'était bien sa chance...Le mauvais jour, la mauvaise heure.

Il fallait trouver une solution...Elle essaya de contourner les barrières et trouva un endroit où elles étaient légèrement écartées. Là, peut-être ?  Elle se glissa...et fut immédiatement rattrapée par le col. "Eh, stop !"  L' ouvrier à la veste phosphorescente la tira en arrière...si brutalement qu'elle lâcha son portable. Celui-ci glissa sur l'herbe mouillée et sous son regard impuissant, dévala la pente jusqu'au fleuve. Pendant quelques secondes, il fut emporté par le courant puis sombra d'un coup.

C'est à ce moment-là qu'elle réalisa qu'elle n'avait noté le numéro de Léo nulle part ailleurs...et que la Seine venait d'engloutir leur seul moyen de contact. 

Il était 18 h. Les magasins étaient fermés. La boule au ventre, elle rentra chez elle et commanda immédiatement un nouveau téléphone. "J'ai perdu son numéro, mais lui, il a le mien, se disait-elle. Il va me rappeler, c'est sûr !"

Un jour, deux jours, trois jours...six jours passèrent. Rien. Une semaine, deux semaines, trois semaines, un mois. Deux mois, trois mois, six mois, un an. Marie dut se rendre à l'évidence. Léo l'avait oubliée. Ou plus probablement, il avait été vexé par le fait d'avoir attendu en vain toute la soirée...et par sa non-réponse à ses appels. Il avait dû croire qu'elle ne voulait plus de lui. 

..........................

Combien de couples avaient-ils été défaits, ce jour-là ? Combien de symboles d'amour jetés à la ferraille ? Combien de serments brisés ? Combien de promesses éternelles envolées ? Combien d'histoires avortées ? On ne le saurait jamais.

L'ingénieur qui avait ordonné les travaux n'avait raisonné qu'en termes de poids, de résistance des matériaux et de dangerosité pour les passants. Il est clair que, s'il était amoureux, ce n'était que des chiffres.


La Licorne

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 Consigne du "Goût des autres" pour ce lundi

 Je suis sûr qu’il y a 
chez chacune et chacun de vous un endroit qui, 
bien qu’il ait peu changé,
a subi un changement qui, pour petit qu’il soit, 
a modifié grandement votre perception 
de l’endroit où il a eu lieu.
Et je suis tout aussi sûr que vous mourez d’envie 
de le raconter.

J’espère donc lire lundi « l’effet papillon » 
que de petits changements produisent sur votre vie…

 

 

 

et Consigne du Jeu 100 

ICI 

(j'ai placé les mots, en italique dans le texte)

 

 
 
 

14 commentaires:

  1. hélas je n'éprouve aucune sympathie pour ces cadenas accrochés partout: c'est une véritable nuisance ;-)
    mais bravo pour l'histoire, qui est une belle illustration de l'engrenage et du hasard!

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    1. Le "hasard" est présent dans toutes les histoires de nos vies...et il y côtoie son ami le "destin", en parfaite synchronicité... ;-)

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  2. Effet papillon catastrophique ce jour là !

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    1. Les petites causes créent de grands effets...et peuvent changer une vie...du tout au tout.
      Qui sait ce que seraient devenus ces deux-là, si les travaux n'avaient pas eu lieu ? (travaux qui ont réellement été faits, d'ailleurs, en 2018...)

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  3. Il y a un film d'Eric Rohmer qui est bâti sur le même scénario. Et un roman de Boileau-Narcejac qui s'appelle "L'ingénieur aimait trop les chiffres" ! ;-)

    Je viens de t'envoyer ma contribution, histoire que tu ne sois pas toute seule pour célébrer la 100e !

    https://joekrapov.blogspot.com/2024/11/lettre-sainte-isaure-jeu-n-100-de.html

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    1. Je ne connais ni le film, ni le roman...mais merci vraiment pour ta participation...
      Pas trop le temps de commenter en ce moment, je reveinedrai !

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  4. Imagine le nombre d'amours englouties si le Pont Neuf s'était affaissé sous le poids des cadenas.
    Déjà que personnifier l'amour avec un cadenas me semble inquiétant pour les amoureux...
    Chouette devoir, Mme Licorne !

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    1. Je suis bien d'accord sur le fait que le cadenas n'est pas le symbole le plus enthousiasmant pour personnifier les sentiments...
      Je n'en ai d'ailleurs jamais fait usage :-)
      Mais il semble bien que des millions de personnes soient d'un autre avis !

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  5. Il n'a pas rappelé, c'est donc qu'il ne voulait pas poursuivre cette romance, car perdre aussi son portable aussi, ça aurait fait beaucoup....dommage pour elle, mais, bon, des amours de 15 jours, on s'en remet, non ? Devoir bien sympath.....

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    1. Les amours de 15 jours, on s'en remet...
      Peut-être...
      L'amour est-il une question de durée ?

      Sur ce point, je vais laisser répondre l'ami Brassens :
      https://youtu.be/vvjhsZYaofk?si=qoSjH02gvTYG-laS

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  6. Je ne suis pas pour ces amas de ferraille, qui en plus ont une connotation d'emprisonnement, mais l'histoire est tristounette, qui sait à côté de quoi ces deux-là sont passés ?

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    1. Les histoires d'a...les histoires d'a...
      finissent mal...en général ! ;-)

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  7. La chute, au propre comme au figuré, de l'histoire est inattendue. J'aime votre texte.
    Je vous souhaite une bonne soirée.

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