Ma chère Isaure, ma très bien aimée maîtresse virtuelle, ma douce montreuse de vie en rose,
Plutôt
que d'aller faire un tour dans la rue Sainte-Isaure à Montmartre en
2001, j'aurais dû effectuer pour toi un pèlerinage au 45, quai Conti et
photographier, depuis le pont des Arts, la coupole de l'Institut de
France.
Tu
as vécu en cet endroit de 1824 à 1832, dans le logement de fonction de
ton grand père Amaury Pineu-Duval qui était secrétaire de l'Académie des
Inscriptions et Belles Lettres. Ta maman était revenue vivre chez son
père après le décès de son mari Adolphe, le libraire-aventurier, en
Amérique du Sud. Elle y redevint la flamboyante Emma Antigone Duval,
veuve Chassériau, y tenant salon littéraire, sortant dans le « grand
monde » autant qu’elle le pouvait et elle finit par épouser en 1832 un
riche notaire vendéen, Marcellin Guyet-Desfontaines, qui devint député,
châtelain à Linières, bref une success story bien de l'époque. Mais
passons sur ces détails de ta première vie même si ce que l'on perçoit
du monde entre 4 et 12 ans est aussi très important pour la suite de son
parcours. De toute façon à part Emmanuel François, Bathilde Dopffer et
moi-même tout le monde se fiche bien aujourd'hui des années 20 à 54 du
XIXe siècle. Tout le monde préfère sa seconde vie, celle qui se déroule
sur un écran d'ordinateur ou de smartphone, sur les réseaux sociaux qui
sont en fait de plus en plus des zéros sociaux. Moi-même j’y passe
encore beaucoup de temps à jouer à l’écrivain virtuel et j'ai éprouvé
beaucoup de bonheur à relire récemment les deux récits en dix chapitres,
consacrés à ton oncle Camille, que j'avais déposés en 2009 chez
l’éditeur Kaléidoplumes. Sur la lancée je devrais peut être me replonger
dans le roman du vol de ton tableau au musée des beaux Arts de Rennes
en avril 1999 « Isaure a disparu ». Voire l’éditer sous forme
d’ibouque !
C'est
à cette occasion-là que je t'ai rencontrée, c'est de là que tout est
parti. Que serais-je sans toi, ô mon Isaure ? Que serais-je sans toi qui
symbolises toutes ces autres dames rennaises, discrètes, amusantes,
réservées mais si accueillantes pour l'original étranger que je fus et
suis encore même après vingt-sept ans de séjour dans cette cité bretonne
(?) où il ne pleut jamais et où donc, du fait d’une certaine
sécheresse, rien ne prend sauf le feu ?
Toi
et moi, nous nous sommes un peu perdus de vue depuis que tu es retourné
vivre à Paris. Notre amour n'avait rien de cadenassé comme celui des
moutons de Panurge qui se jettent sur la balustrade dudit pont des Arts
pour y laisser leurs initiales entrelacées. Il n'y a pas plus libre
qu'un anaon, un personnage de fiction deux fois centenaire, un fantôme
bienveillant, une inconnue dans l'histoire, une femme de 34 ans qui ne
vieillit jamais, traverse toutes les époques et s'est même payé, grâce à
l'université de Rennes 3, des voyages dans le passé à vocation
féministe. Je ne manque jamais de saluer les trois frères Park lorsque
je pénètre dans le jardin du Thabor par l'entrée de la rue de Paris ou
lorsque je passe devant la maquette du vaisseau Tornado sur la place
Rallier-Du-Baty.
Mais
je ne vais pas t'embêter plus longtemps, juste te donner quelques
nouvelles du monde imagier qui est le mien, des pérégrinations immobiles
de ma souris, des trouvailles de ma vie routinière de musicien-poète. A
l'atelier d'écriture de Villejean c'est Willy Ronis, en parfaite
coïncidence avec la photo de l’atelier Filigrane, qui m'a ramené à toi.
Ses amoureux du pont des Arts comme ses estivants de l'île Saint Louis
ou ses baigneuses de la fontaine Stravinsky sont bien plus libres,
légers et insouciants sans leur cadenas ou leurs smartphones dans la
poche arrière et pourtant ce sont des photos relativement récentes qui
ont servi à notre dernière séance de divagation écrivassière.
Sur
Internet Monsieur Google n'indexe plus rien ou presque mais en allant
chez Monsieur Qwant qui se montre plus généreux j'ai retrouvé aussi ta
trace et j’ai récupéré deux représentations encore inconnues de moi de
tes cousines Adèle et Aline, les sœurs du peintre Théodore Chassériau
sur un tableau et un dessin signés de celui ci. On ne rigolait pas
beaucoup dans cette famille-là non plus !
J’y
ai aussi trouvé cette image surréaliste de ton portrait dans une
machine à laver ! Je la résumerai ou la légenderai ainsi : « On peut
mener en étant très heureuse ou très heureux une vie sans tambour ni
trompette annonçant que le cycle est fini ! Il suffit pour cela de la
repeindre en rose ! ».
Times fades away ? Or not ! Rust never sleeps ? So what ?
Je t'embrasse, ma très chère Isaure !
P.S.
Toute ma petite famille va bien et tu manques énormément à l'Oncle
Camille, à la tante Agathe et à toute la bande de copains du café « Au
vieux Saint Etienne ». Reviens-vite nous voir à Rennes : c'est quand
même une ville où il ne pleut jamais et où, en automne, les statues sont
fleuries !
Rue Sainte Isaure, dans les années 60, il y avait une dame qui tenait une petite boutique-atelier.
RépondreSupprimerElle y réparait des haut-parleurs, remplaçant les membranes, les bobines mobiles, recollant les "spiders".
J'y suis souvent passé rien que pour la regarder, elle avait des gestes d'une délicatesse rare.
Aujourd'hui, seuls les haut-parleurs haut de gamme, chers ou "vintage" sont réparés (souvent pour plus cher qu'ils n'ont coûté lors de l'achat...)
Merci de m'avoir rappelé cette rue.
Finalement, si sophistiquée soit-elle, c'est à cela que sert mon écriture : à provoquer des souvenirs de la vie de tous les jours des gens qui vivent simplement !
SupprimerMerci de cette lecture !
Sur les ponts de Paris
RépondreSupprimerOn s'embrasse, on s'embrasse...
Ben, dis donc, le Willy, il m' a photographié la vue de dos (alors que j'avais la vue de profil)
et depuis un autre pont, en plus !
Bel écho à la photo du mois !!!
Sur les ponts de Paris
On s'embrasse, on s'embrasse...
Et sur les ponts de Rennes, qu'est-ce qu'on y fait ?
On y écrit, je parie !
Dame Isaure nous promène dans toutes les rues et toutes les époques...
et c'est bien agréable de suivre sa robe rose, ses désirs et ses délires...
http://jeanpaul.legrand.free.fr/Rennesendelires/menugeneral.html
Merci, Joe, pour ce texte qui "fait le pont" entre nos deux univers... :-)
Je ne suis pas peu fier de lui avoir fait prendre l'air, de l'avoir sortie de son tableau ! Et je pense que sa "seconde vie" rennaise lui a bien plu ! ;-)
RépondreSupprimerMerci à toi de m'avoir remis sur sa trace. J'ai, ce faisant, découvert d'autres images de sa famille que je publie demain !