mardi 5 décembre 2017

JEU 31 : Au bonheur des Lipogrammes


Consigne du jeu ICI



Eh non ! Vous ne verrez donc pas votre dernier sapin couronné d’astres et embrasé de teintes vives qui apporte à grands et petits joie et ravissement. Vous n’ouvrirez pas vos derniers cadeaux, couvé du regard attendri de votre tribu, femme, fistons, tantes, cousins, issus de germains. Vous ne chanterez pas de beaux cantiques anciens en mangeant du foie gras et des pigeons farcis. En ce moment-même, vous devez être en train de nous regarder nous épandre en gémissements, en riant de votre petit air goguenard, fauché par une camarde qui n'a pas souhaité attendre jusqu'au 25…

Evidemment qu’on vous connaissait. Qu’on vous adorait. Ou qu'on vous détestait. Et certainement que ça va faire un vide énorme sur votre siège d’académicien fantastique. Un vide froid, qui sourd déjà dans nos cœurs en apprenant votre décès.
Même certains de ceux qui vous ont conspué à une époque, qui vous ont traîné dans une boue fétide, faite d’arguments méprisants et un rien sophistes, qui vous ont traité de facho ou de ringard, vont commencer à changer d’opinion, vous verrez, et vont vous reconnaître hypocritement des vertus, maintenant que vous vous êtes sauvé en catimini de ce monde. C’est toujours comme ça, quand une personne s’en va, on pare sa mémoire de roses et d’honneurs, on pose sur sa tombe un manteau funèbre cousu à grands coups d’encensoir. Brassens disait à peu près ceci dans une de ses chansons : « On pardonne à tous ceux qui nous ont offensés, un mort est toujours un brave type. »
Qui sait ? On a dit que vous étiez une ordure, un prétentieux arrogant, un aristo condescendant, un opportuniste imbu de sa personne. Peut-être. Mais en avançant en âge, c’est devenu moins évident, vous vous êtes bonifié, comme un grand vin. Vous vous êtes remis en question, vous avez combattu vos fantômes du passé, comme tout citoyen épris d’humanisme digne de ce nom.

Je me suis toujours dit qu’un homme qui écrit « Au Bonheur des Dames », « Saveur du Temps » ou « Guide des Egarés » ne peut être tout à fait mauvais. Bonheur des dames, notamment, qui était un peu votre priorité…Vous disiez : « Je passe mon temps à aimer des femmes, sans attendre forcément d’être aimé en retour, et j’y trouve un bonheur fou »
C’est une chose étrange en définitive, que ce monde que vous n’avez eu de cesse d’essayer de comprendre, de décrire patiemment, d’aimer passionnément et d’interroger, d’observer avec vos séduisants yeux d’azur sans défaut, vos yeux d’ancien enfant mutin et facétieux. Ah …et votre sourire, affamé de vie et de tous ses petits et grands bonheurs…
Empruntant des vers à de fameux poètes, comme Aragon que vous admiriez tant, vous êtes parti, comme prévu, sans en avoir tout dit. Sans même savoir si Dieu existe. Maintenant, vous savez.

Vous écriviez pourtant sur toutes choses des pensées d’une grande profondeur, prenant appui  sur vos expériences en même temps sensitives et intérieures, des vérités qui devenaient comme des évidences, pourtant vous preniez bien garde de ne jamais paraître pontifiant, ni de vous croire supérieur à vos contradicteurs. Ceux-ci vous critiquant parfois, en n’ayant pas ouvert une moindre page de vos écrits…
Votre sens des échanges courtois fondés sur un étayage profond des pensées, n’avait rien de mondain, ou de vaniteux, même si d’aucun dénonçaient chez vous une certaine emphase, du cabotinage ou un ego surdimensionné. Je me souviens d’un débat avec Hubert Reeves. J’étais restée suspendue à mon écran comme un mérou dans un aquarium. Bouche bée devant vos mots d’esprit exquis, vos conceptions et vos joutes foudroyantes de perspicacité cosmique. 

Vous représentiez, en somme, tout ce que nous pouvons encore désigner par ces mots : « Bon goût, chic, grâce, raffinement, aisance, charme », mais aussi « esprit vif, discernement, virtuosité d’écriture », bref, une énumération qui pourrait se résumer en un mot, fâcheusement interdit ici par cette sauvage consigne d’écriture, mais que chacun a deviné.
Ainsi, si vous voyez Jean Ferrat, je suis sûre que vous tomberez d’accord pour taper une discute autour d’un verre, et vous dire que ce n’était pas si grave, n’est-ce pas, au fond ?

On vous surnomme, écrivains académiciens, « ceux qui ne meurent pas » Aucun doute que vous resterez vivant pour toujours dans nos mémoires, monsieur d’O.
Et toi, mon cœur, pourquoi bats-tu ? C’est aussi une question que je me pose chaque matin, peut-être un peu grâce à vous…





12 commentaires:

  1. Alors là, la classe, la grande classe, Célestine !
    (oui, je me délecte à utiliser moultes fois la lettre interdite , puisqu'on est dans les commentaires)
    Réussir à rédiger un hommage aussi "fin" et aussi long, avec la consigne que j'avais donnée...fallait quand même le faire !
    Bravissimo !
    Nul doute que le grand homme, de là où il est, appréciera ton billet à sa juste valeur...

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    1. Puisses-tu dire vrai, chère Licorne !
      La consigne n'était pas facile, mais plus c'est difficile, et plus j'aime...
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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  2. Bien dit, comme un chant d'espérance, merci

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    1. Son dernier livre...
      merci Patch Cath !
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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  3. Quel bel hommage, Célestine !
    Bravo.
    Pour ce qui me concerne, Jean d'O avait le pouvoir de m'apaiser.
    Le seul fait de le voir dans une émission, de l'entendre lors d'une interview ou simplement à dire deux ou trois mots me captivait.
    Son regard d'enfant, son sourire toujours présent, son humilité étaient un bonheur à regarder et à écouter...
    Sa joie de vivre était contagieuse.
    Il semblait en harmonie avec tout ce qui l'entourait et respectueux de tous...
    A lire et à relire !
    Jacques

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    1. Un homme joyeux, ça dénote tellement dans ce monde de peine-à-jouir et de pisse-vinaigre....
      Alors oui, célébrons la joie de Vivre avec un grand V.
      Merci Jacques
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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  4. En admiration des deux belles personnes dont on célèbre ici l'écriture : Jean qui vogue vers d'autres horizons , l'oeil et le coeur ouverts sur l'infini; et toi aussi Céleste pour ce texte qui lui rend hommage de la plus belle façon, c'est à dire en toute simplicité et sincérité.

    Merci a Jean et Céleste de nous partager leur beau regard sur le monde

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    1. C'est trop d'honneur que de me comparer à la cheville de ce grand homme.
      Mais je goûte néanmoins le compliment.
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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  5. Une belle version d'Histoire d'O ; évidemment, lui, sans elle(s), ça n'est plus pareil.

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    1. L'homme qui aimait nager...
      Un des livres que j'ai préféré de lui est
      "C'est une chose étrange à la fin, que le monde»
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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  6. Oui quel bel hommage à cet amoureux des lettres qui vient de nous quitter. Et quelle performance d'avoir écrit votre billet sans la lettre interdite. J'en serais bien incapable en ce qui me concerne. Chapeau bas !

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    1. Merci JF
      C'est juste une question de discipline. Et ça fait réviser les synonymes, c'est bon pour la mémoire...
      ¸¸.•*¨*• 🦋

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