Ce siècle a dix neuf-ans, l’âge des fleurs et du printemps,
et pourtant il s’enlise dans une sorte d’hiver social interminable et noir.
Tous les dés sont pipés, les arcanes du Pouvoir et de la Finance l’ont
définitivement ficelé comme une paupiette.
Du coup, le citoyen lambda, et même l’alpha ou l’oméga, ne
comprennent plus grand-chose dans ce grand flou artistiquement entretenu, dans
la logorrhée lénifiante des politiques de bâbord comme de tribord. La coque
prend l’eau. Et ce n’est pas la poudre de perlimpinpin de leurs promesses
élimées, qui changera la donne. Qui fera oublier leurs larcins et leurs arnaques.
Tiens, ce matin par
exemple, c’est ballot, j’étais partie à petits sauts de cabri, au vent aigre de
janvier mais le cœur au chaud, ayant troqué la nuisette à fines bretelles
contre la veste en mouton retourné et l’écharpe en cachemire. Je pensais
musarder au marché, échanger quelques calembredaines croquignolesques avec les
marchands de primeurs. M’acheter un petit poulet fermier rôti dans sa peau, que je savourais déjà in
petto, en salivant.
Ah ça, pour du poulet, j’en ai vu…des dizaines, des
centaines de poulets en batteries à chaque carrefour.
Ce que j’ai vu, c’est un centre-ville déserté, décimé, barricadé frileusement, derrière des cordons de gens en armes, et des planches en contreplaqué. Ça m’a mise à l’envers. Au trente-sixième dessous. J’ai frémi. On aurait dit le tréfonds de la Roumanie du temps du Rideau de Fer.
Tu ne reconnaîtrais plus ton pays, mon vieil Hugo. Où est
passée sa tradition de contestation
subversive et éclairée, héritée en droite ligne des Lumières ? Que deviennent
les acquis sociaux et les libertés individuelles, passées au tarabiscot de la
loi du Marché ? Et le droit de manifester ? Quelles carabistouilles va-t-on
encore nous faire avaler, comme des fèves amères, en montant soigneusement des
pans entiers de la population les uns contre les autres ? En traitant les
citoyens de fainéants et de réfractaires ? En brouillant les cartes jusqu’à ce
que l’on ne sache plus qui se bat contre quoi ? En assommant, par le truchement
du gant de boxe sécuritaire et paternaliste, la petite puce de la Liberté.
Je t’affole peut-être inutilement, toi qui repose en paix au
panthéon avec Simone Veil, Zola, Jaurès et quelques autres… je trouve simplement que c’est grave ce qui se passe.
C’est disruptif, oui, mais avec notre histoire de peuple libre. Et le pire, c’est
que personne ne s’en aperçoit, ou presque.
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Magnifique, Célestine !
RépondreSupprimerje suis tout à fait d'accord...
Nul doute qu'il nous faudrait un nouvel Hugo pour parler de ce qui se passe sous nos yeux...
Où sont les plumes engagées qui nous aideraient à comprendre ce qui menace aujourd'hui la Liberté ? Où sont les mots inspirés qui, dans une vision plus "haute", engendreraient l'Union au lieu de la Division ?