dimanche 12 novembre 2017

JEU 30 : Le journal vivant





Un monsieur prend l’autobus après avoir acheté le journal et l'avoir mis
sous son bras.  Un monsieur vêtu sobrement, un monsieur très ordinaire,
qu'on ne remarque pas.  Il trouve un banc libre, s'assoit, ouvre le journal.
Son esprit, bien plus fou que lui, soupire d'aise.  
Enfin l'évasion est à sa portée. 

Au fil de la lecture, tout ce que le monsieur lit prend vie et prend place
auprès de lui.  Le petit garçon égaré est là tout à côté. 
Des événements tristes forment de drôles de fantômes éplorés. 
De grandes fêtes se déploient dans cet espace étroit mais illimité. 
Rendu à la rubrique des décès, le miracle se poursuit:  
une femme trépassée, étonnée, reprend vie.
Un monsieur très surpris regarde partout autour de lui.  Un bon vivant
fraîchement enterré revient à lui, ébloui.  Pendant tout le trajet, une
ribambelle de gens sortent ainsi un à un du journal, éberlués.



Une demi-heure plus tard, sans avoir pris conscience du charivari suscité
par lui, le monsieur se lève, va vers l'avant, salue le chauffeur qui reste
bouche bée.  Il descend avec le même journal sous le bras, 
mais un journal maintenant tout ébouriffé, un tas de feuilles imprimées 
que le monsieur jette sur un banc de la place 
toute bruissante et bruyante en ce beau jour d'été.

Un passant tatillon, témoin de ce geste délinquant et du méli-mélo
du quotidien abandonné, ne peut s'empêcher de s'arrêter 
et de remettre un peu d'ordre dans ces papiers désordonnés. Il leur redonne
une apparence digne d'un journal bien élevé et repart, 
satisfait de sa bonne action d'homme civilisé.

Une vieille femme s'approche du banc et heureuse de l'aubaine, prend
le temps de s'asseoir pour lire tranquillement le journal, gratuit aujourd'hui.
Mais qu'arrive-t-il donc dans ces pages?  Ce journal est parsemé d'espaces vides,
des textes entourant des trous blancs. Troublant!  Commencerait-elle à perdre la tête?  
La voilà effarée, affolée. Son premier réflexe est de rejeter le journal et de s'en éloigner.  
Mais après tout, cet objet ensorcelé pourrait encore servir
à quelque chose d'utile avant d'être jeté.  Elle se ravise donc, 
l'emporte avec elle dans son cabas et dirige ses pas vers le marché.

Heureusement, cette vieille femme n'a plus sa mémoire d'antan.  
Oubliant son effroi de tout à l'heure, elle est toute contente de trouver chemin faisant 
une bonne idée pour son dîner:  un demi-kilo de blettes vraiment pas chères, 
qu'elle enveloppe dans les pages du journal. 
Elle a déjà oublié son effroi et personne d'autre 
ne s'apercevra qu'il n'était pas banal ce journal-là, 
métamorphosé après avoir subi d'excitantes métamorphoses.
.
.


5 commentaires:

  1. Quelle histoire ! quand le journal et la fantaisie emmélimélote le quotidien! Et quelle belle idée, ce retour des personnages cités dans le journal ;

    ma phrase préférée :
    "Son esprit, bien plus fou que lui, soupire d'aise".
    (j'en ferais bien ma devise)

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  2. Oui, c'est une superbe idée...que ces personnages de faits divers qui fuguent et qui s'incarnent tout autour du lecteur...

    Mon petit doigt me dit que Célestine devrait beaucoup apprécier... ;-)

    Merci Michelle pour cette belle version !

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  3. Merci carnets paresseux pour ton appréciation!
    Merci la Licorne pour les illustrations, particulièrement la 1ère: le journal vivant, et pour cette idée de thème qui m'a inspirée!
    A la prochaine,
    Michelle

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  4. Oui j'apprécie beaucoup tu as raison, chère licorne.
    Des trous blancs troublants, voilà un jeu de mots qu'il est beau ! Aussi chouette que l'emmelimelote du dodo.
    Bravo Michelle pour cette participation aussi surréaliste que possible.
    Bises
    ¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Quand je disais que tu apprécierais, Célestine, je me référais à un de tes écrits, lu par moi il y a peu, qui parlait d'un certain orteil célèbre, et qui partait d'une idée semblable...
      Les mots créent des mondes...et ces mondes, ces personnages sont vivants !
      la preuve, c'est que parfois, ils nous échappent...totalement.
      Bises.

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