De l'avis général, je fus un "beau bébé".
Ventre grassouillet, joues rebondies, fossettes triomphantes :
je faisais honneur à ma mère et à ses qualités nourricières.
Son lait généreux et débordant me transforma en quelques mois à peine
en un petit bouddha replet et repu, qui exhibait fièrement ses formes
et qui laissait, sur le plan de la croissance,
tous les autres nourrissons de la région loin derrière.
Au début des années soixante,
époque où l'on ne plaisantait pas avec les vertus maternelles
et où l'on se souvenait encore des jours faméliques
de la deuxième guerre mondiale,
je partais avec un avantage certain sur mes camarades.
A deux ans, je les dépassais tous d'une tête.
Pourtant, par un de ces mystères
que la vie vous réserve parfois,
ce splendide appétit s'émoussa d'un coup
vers l'âge de cinq ou six ans.
A l'âge où l'on a envie de quitter le giron maternel,
je me mis, pour une raison que j'ignore,
à inverser mon rapport à la nourriture.
Alors que jusque-là, je croquais la vie à pleines dents,
je commençai à regarder mon assiette d'un air sceptique.
Tout ce que j'adorais auparavant me sembla soudain sans attrait.
Tel un pigeon indécis,
je me mis à picorer de ci-de là,
une miette à la fois.
Du pain, je ne voulais plus que le croûton.
Du poulet rôti, je ne goûtais qu'une moitié d'aile,
que je suçais pendant trois-quarts d'heure,
comme le chien rogne son os au fond de sa niche.
Je ne supportais pas qu'on me serve
plus d'une cuillerée à la fois.
Mais, quelques minutes plus tard,
il n'était pas rare de me voir "piocher",
fourchette en avant, quelques petits morceaux
dans le plat.
A chaque fois, cela mettait mon père
dans une colère noire :
que je picore dans mon assiette, passe encore,
mais "chiper" dans le plat familial,
c'était hors de question.
Croulant sous les reproches,
je m'enfuyais alors, avant la fin du repas,
dans le recoin le plus proche,
en serrant mon poing dans ma poche.
En proie à l'incompréhension familiale,
je me murai dans le silence,
et, en réaction à l'orgie alimentaire d'autrefois,
je mangeai de plus en plus parcimonieusement.
A sept ans, j'étais devenue longue et osseuse.
Tel le héron de la fable,
je dédaignais la plupart des plats qu'on me proposait
et j'avais fait du grignotage "pingre"
mon mode habituel de fonctionnement.
Je n'étais plus alors que la pâle copie de moi-même.
Cela faisait longtemps qu'Oncle Henri avait cessé
de me "pincer" les joues...
et de temps à autre, on me faisait remarquer
que ma copine Corine,
que ma copine Corine,
autrefois frêle comme le roseau, était maintenant
deux fois plus imposante que moi.
Ce comportement d'opposition dura jusqu'à l'adolescence.
Jusqu'à ce que, vers douze ou treize ans,
je découvre les joies de la cantine du collège...
Loin de la pesanteur du regard familial,
je redevins moi-même...
et je me réconciliai rapidement
avec la nourriture.
A quatorze ans,
je mangeais à nouveau de tout,
sans problème.
Mon époque "anorexique"
était définitivement derrière moi.
Mais pour être tout à fait honnête,
j'avoue que j'aime encore,
entre la poire et le fromage,
"pignocher" un peu
dans le plat...
.
La Licorne
.
Règle du jeu :
Les mots en gras ont été créés
à partir des lettres suivantes :
à partir des lettres suivantes :
Merci de ta participation ... c'est dur mais tellement réel ...
RépondreSupprimeravec le sourire
Merci Lilou...
SupprimerEn fait, je ne suis pas trop à plaindre...le mot "anorexique" , que j'ai employé dans le texte est sans doute trop fort...je mangeais quand même suffisamment pour ne pas dépérir , mais il est vrai que je suis passée de "très dodue" à "assez maigre" en quelques années (ou mois).
Quelle enfance! pignocher ainsi toute jeune. ma soeur et moi étions maigres, elle : ne mangeait rien; Moi: un véritable ogre pour le même résultat.
RépondreSupprimerTrès bien ton texte surtout en histoire vécue
Passe un bon WE et à bientôt!
Yvette
Une histoire vraie qui me touche particulièrement aussi , ce rejet de la nourriture je l'ai connu aussi avec ma fille mais pas au même âge .
RépondreSupprimerBon dimanche
Bravo pour ton histoire vraie bien racontée.
RépondreSupprimerBonne soirée de dimanche
Merci à vous, il me tarde aussi d'aller lire vos textes...
RépondreSupprimerj'irai demain...dès que j'aurai deux minutes !
Bisous.
J'ai bien cherché et enfin trouvé qui était la Licorne, j'avais laissé un commentaire sur ton blog. Merci d'être passé sur le mien, c'est sympa
RépondreSupprimerQue tu aie été tout à tour dodue ou maigrelette, je te laisse juge. Mais toujours fine plumes !
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