dimanche 1 septembre 2019

JEU 49 : Son instant



SON INSTANT

Cette nuit, la lune scintille si peu. Elle est pâle. Une brume fine semble vouloir la dissimuler à nos regards… à son regard.
Il est debout, là, immobile face aux champs de blé ondulant sous la brise fraîche.
Il se souvient de son visage, de ce sourire éclatant qu’elle arborait chaque matin au lever du soleil. Elle dormait peu, et pour rien au monde elle n’aurait manqué ce rendez-vous avec l’aube qu’elle affectionnait particulièrement. C’était SON instant, cet instant où elle s’abandonnait, seule, à rêver en observant la lente métamorphose du paysage. Elle aimait regarder les premières lueurs dévoiler peu à peu ce qui l’entourait : d’abord la cime des sapins de la forêt proche, couronnés alors d’une couleur dorée qui leur allait à merveille, suivaient les champs qui tels des caméléons se fondaient dans les teintes de saison…petit à petit se révélaient à son regard le village, le clocher avec son coq reflétant les rayons du soleil comme pour nous dire « C’est l’heure de se lever ! », les toits aux tuiles orangés typiques de la région, les rues qui commençaient à prendre vie, … Et enfin la luminosité matinale l’atteignait tandis qu’elle buvait un thé vert à la menthe, son préféré, sur la terrasse en bois qu’il avait réalisé pour elle.
C’était son instant quelle que soit la météo, quel que soit son état de santé ! Sa santé qui, jour après jour, déclinait. Elle savait que chaque aurore était une chance. Celle d’être encore en vie.
Il est debout, là, frissonnant devant les faibles rayons de lune qui venaient caresser les épis de blé.
Depuis le départ de celle qu’il observait parfois à l’aube, sans qu’elle n’ait jamais remarqué sa présence… le départ de celle qu’il avait tant aimée… il ne sortait plus, ne voyait plus personne, ses pinceaux n’étaient plus sortis de leur tiroir, …sa vie avait perdu son âme noyée dans le désespoir, sa muse n’était plus là.
Jusqu’à ce fameux matin. Des miaulements insistants l’ont attiré dehors. Il faisait encore nuit. Il ne sait pas pourquoi il ne les a pas ignorés. Il s’est levé, a ouvert la porte vitrée qui menait sur la terrasse.
Deux petits yeux apeurés d’un vert cristallin éblouissant, cette couleur qu’il aimait tant peindre autrefois, le fixaient. Et au moment où il s’apprêtait à passer sa main sur cette petite boule de poils pour la rassurer, c’est arrivé. Un premier faisceau lumineux a glissé sur la forêt et lentement a chassé l’ombre qui couvrait la forêt jusqu’à esquisser une toile rougeoyante dont il n’arrivait plus à détacher le regard. Son sourire. Il était toujours là… Une douce sensation d’apaisement s’éveilla alors au plus profond de lui. Comment avait-il pu oublier SON instant ? Cet instant qu’elle aimait tant car il célébrait le bonheur de pouvoir vivre encore une journée auprès de lui et des gens qu’elle aimait.
Il est debout, là, devant une toile vierge posée sur un trépied tout neuf, tenant un pinceau dans sa main ferme, attendant l’instant.
Soudain le fou rire le prend. Elle est à nouveau là, devant ses yeux, dans son cœur. Elle y a toujours été. Il aura fallu un chaton perdu pour le lui révéler. Les premiers rayons du soleil viennent le caresser. Il est heureux. Et il efface tout ce qui le mine depuis trop longtemps en quelques coups de pinceaux, tel un jeune enfant qui avec des craies de toutes les couleurs emplit le tableau noir de sa classe d’arc-en-ciel joyeux ! Il dessine le visage du bonheur au milieu des vagues blondes ondoyantes. Il rit et salue sa belle qui dissimulée dans cette nouvelle lueur est venue lui rappeler sa chance d’être en VIE !

4 commentaires:

  1. Magnifique !
    Et émouvant...


    Merci Mary !

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  2. Très beau texte ! Mais ce petit chat qui gratte à sa porte, on peut se demander qui il est ?
    Un signe peut-être de sa bien aimée ...

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