dimanche 22 novembre 2020

JEU 62 : Le voyageur aux yeux de ciel

 





 
Nous


« Emmène-moi dans un endroit où nous ne sommes jamais allés ensemble » dis-je soudain sur un de ces coups de coeur dont j'ai le secret, alors que nous rentrions d'un déplacement coché 2 sur l'attestation dérogatoire.
Aussitôt, le soleil de mes nuits, qui ne sait rien me refuser, d'un adroit coup de volant, bifurque séance tenante sur une route secondaire. Nous débouchons effectivement dans un lieu inconnu de moi, peuplé de grands arbres et de verts pâturages.
Ce jardin idyllique entoure un long bâtiment un peu austère qui ressemble à un lieu de retraite spirituelle. C'en est un, c'est vrai, et j'aperçois des silhouettes de moines et de religieuses marchant d'un pas méditatif entre les frondaisons.
A côté d'un verger de dessin animé japonais, un bâtiment plus modeste. « Vente de pommes » est-il annoncé sur un écriteau.
Et sur le pas de la porte, un homme nous ouvre les bras.
« Je vous attendais » semblent dire ses yeux rieurs, d'un bleu pâle admirable, et emplis de bonté espiègle. La conversation s'engage, comme si nous nous connaissions de longue date.
Il se présente comme voyageur itinérant, ou vagabond par choix depuis toujours.
Oui, par choix, c'est ce qui rend le bonhomme fascinant, détonnant dans un monde calibré en froides étiquettes pour lequel il ne serait qu'un SDF.
Ses pas l'ont mené dans ce lieu, les religieux l'ont accueilli, lui offrant une place de jardinier factotum, il a saisi l'occasion de se poser pour une escale un peu plus longue.
Nous parlons herboristerie, jardinage et philosophie. Les canards chinois glissent lentement sur l'étang. Un chat dort au soleil.
 





Lui


Je les ai vus arriver de loin. Il faut dire que la nana, avec ses cheveux de flamme, on la verrait depuis la lune. Un petit couple bien sympathique, ils ont pris un kilo de pommes, une caisse de jus. Je me suis tout de suite senti en confiance. Je leur ai parlé de mon projet de formation sur les simples, oui vous savez bien, les herbes qui soignent. Les herbes de sorcières quoi.
Ils ne m'ont pas jugé, au contraire, ils ont eu l'air intéressés par mon parcours.
On a parlé des retraites ignaciennes, de la majesté des montagnes qui entourent les bâtiments, et du travail de la terre. Je n'avais pas vu grand monde ce matin, à part le chat qui ne parle pas. Ça m'a fait du bien de discuter avec ces gens. Ils ont l'air de s'aimer, ça se voit tout de suite.








Le chat


Non je ne dors pas. Et oui, je parle. J'observe de ma margelle. Moi aussi, je suis un voyageur, môssieur. Et je sais très bien pourquoi j'ai élu domicile ici, parmi les pommiers du cloître. Certes, si les poissons de la mare ne se laissent pas attraper facilement, les souris du grenier sont bien croquantes. Mais c'est surtout que les hommes y sont meilleurs. Ils ne s'embarrassent pas de ces futilités qui occupent le monde et la foule déchaînée, loin, là-bas. Ils connaissent la valeur des choses, et des mots bien pesés, comme des fruits.
Le père supérieur vient de temps en temps voir si le nouveau gère bien la récolte de pommes. De rares clients passent parfois la grille. C'est ce que j'aime ici : la paix. Ce matin, deux seuls sont venus troubler ma quiétude féline. Quand le gars a chargé sa caisse de pommes, la fille est venu me caresser le museau. Elle sentait bon. Tout est bien, me suis-je dit l'oeil mi-clos. Je ne dors pas, mais j'aime qu'on le croie.



Célestine

•.¸¸.•*`*•.¸¸

 

 



4 commentaires:

  1. Tu as tout à fait bien compris l'esprit du jeu, Célestine !

    J'aime ton texte , tout en douceur et en sérénité...
    ça fait du bien, un peu de calme...dans ce monde chaotique et de plus en plus fou...

    Tiens, je croquerais bien une pomme ! ;-)

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    1. Merci chère Licorne
      Ton sujet m'a inspirée !
      Bisous
      •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  2. J'aime beaucoup aussi l'atmosphère de douceur que dégagent tes trois textes. On imagine un cloître avec un jardin de curé et bien sûr le chat de la maison qui veille du coin de l'oeil sur tout mouvement...

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