Pour le 120ème Devoir du Lundi
Quand j'étais "petite"...nous habitions une maison à trois étages, sans ascenseur. Une grande maison située dans la banlieue d'une petite ville de province. Coincée entre un pavillon avec jardinet, une station-service et trois grands HLM. Une maison banale. Ni vraiment accueillante ni vraiment repoussante. Ni mal famée ni bien famée. Ni belle ni laide.
Au rez-de chaussée, il y avait l'appartement des propriétaires : un couple, dans la quarantaine, avec deux enfants et un chien, un grand berger allemand au caractère assez doux. Au premier étage, une famille, d'origine italienne, avec quatre enfants en âge scolaire. Et au deuxième, les parents des propriétaires : deux "vieux" plutôt grincheux...
Le fait d'habiter juste au-dessus d'eux était une torture quotidienne : il ne fallait bouger ni pied ni patte, sous peine de se faire réprimander. Un calvaire absolu quand on a moins de dix ans, qu'on aime sauter sur les lits et rire aux éclats. Je crois que je me souviendrai toujours des "séances de contrition" qu'ils nous imposaient et des plates excuses, qu'on allait régulièrement déposer chez eux, pour avoir malencontreusement dérangé leur sieste.
Avec mes parents et mes soeurs, nous vivions donc au troisième, sous les toits. Chambres mansardées et vue imprenable sur la rue et sur le quartier. Mais surtout, surtout, pour y accéder, un grand escalier. Un escalier qui ressemblait fort à celui de l'image ci-dessus.
On le dégringolait joyeusement le matin, on le remontait gentiment à midi... On le redescendait en début d'après-midi, et on le remontait poussivement le soir, courses à la main.
Souvent, à la sortie de l'école, j'allais chercher le lait à la ferme (il y avait une ferme en périphérie de la ville). Le cartable dans une main, le bidon métallique dans l'autre...Je dois dire que je trouvais ce dernier bien lourd pour mes petits bras de six ans. Alors, afin de les soulager, je faisais une halte avant d'atteindre le troisième étage.
Parfois la halte durait un peu trop. Mon esprit s'égarait...Je me souviens qu'il m'est arrivé plus d'une fois d'oublier le bidon sur une marche...et de m'en apercevoir seulement en haut, sous les questions inquiètes de ma mère.
Mais le grand escalier était aussi un lieu de rencontre...
C'est là, assis sur les marches, qu'on discutait des heures avec la bande d'enfants de l'immeuble. C'est là qu'on se montrait nos "trésors", nos cartes de collection et nos billes... billes qui nous échappaient parfois et qu'on courait récupérer tout en bas...
C'est là qu'on s'asseyait pour se faire des confidences. C'est là qu'on coiffait nos poupées...C'est là qu'on caressait le chien...C'est là qu'on "lâchait" le cobaye qui aurait dû rester dans sa cage...
C'est là qu'on croquait dans des colliers de bonbons et dans de longs carambars qui allaient faire la fortune de nos dentistes dix ans plus tard...C'est là qu'on se racontait, en pouffant, les "blagues à Toto". C'est là qu'on se collait sur les bras des "tatouages" malabar...que nos parents découvriraient le samedi matin, au moment du bain...
C'est là, sur le dernier palier, qu'on s'échangeait passionnément les Zembla, les Ivanhoé, les Tartine, les Mandrake, les Kiwi et les Pif Gadget qui, à l'époque, ne coûtaient quasiment rien. C'est là qu'on jouait aux osselets et au tac-o-tac...
C'est là qu'on se distribuait les rôles pour savoir qui serait le gendarme et qui serait le voleur... "Plouf plouf, une bague en or c'est toi qui sors... mais comme la reine et le roi ne le veulent pas ça ne sera pas toi !!!"
C'est là, tout en bas, qu'on s'y "collait" pendant que les autres allaient se cacher. Enfin, c'est là qu'on planquait, dans un recoin, nos cordes à sauter, nos craies, nos élastiques et nos balles...pour ne pas avoir à remonter tous les étages.
Eh oui, j'ai vécu dans cet escalier on ne peut plus banal des instants précieux, des instants d'insouciance...et là où vous ne voyez peut-être que des marches cirées...moi, je vois tout ça...je vois l'univers de mon enfance.
Quand j'ai eu neuf ans, nous avons déménagé. A la campagne. Dans une maison individuelle. J'ai découvert les champs, les petits chemins, les arbres...J'ai aimé l'espace, le ciel bleu et le grand air.
Mais jamais, jamais je n'ai retrouvé les petites joies...de l'escalier !
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La Licorne
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On ne dira jamais assez de bien de "l'esprit d'escalier".
RépondreSupprimerTu as vécu une enfance comme celle de beaucoup d'enfants.
C'était à la fois très chouette et à la fois un véritable enfer quand on est brimé par des gens qui ont oublié que les enfants c'est vivant...
J'ai beaucoup aimé ton récit, tu m'as fait revivre des moments gais et des moments moins drôles.
C'était chouette.
Oui, dans ces années, il y avait du bon et du moins bon...voire même du pas bon du tout...mais, là, j'ai voulu me rappeler en priorité des petits moments "sympas", des jeux et des joies...:-)
SupprimerBelle évocation de ton enfance, avec talent, tel qu'aussitôt on se retrouve soi-même dans ce lieu de notre enfance si magique et dont la nostalgie peut nourrir notre présent car l'esprit en est toujours en nous.
RépondreSupprimerPour ma part ce n'était pas un escalier, mais la rue du village où résidaient mes oncles et tantes, et même les fossés aux alentours où, avec les gosses du village, les cow-boys l'emportaient toujours sur les Indiens.
Merci pour cette respiration du passé qui fait du bien
On a tous un "paysage d'enfance", des lieux qui nous marquent à tout jamais...même si, sur le moment, on ne s'en aperçoit pas. je n'ai pas de "nostalgie" par rapport à cette époque, mais, parfois, j'aime me pencher vers la petite fille que j'ai été et la faire revivre...l'espace d'un instant. :-)
SupprimerN'ayant vécu que dans des maisons individuelle, je n'ai aucun souvenir qui puisse se relier à un escalier d'immeuble. Nous jouions dans les rues tranquilles du quartier où les cyclistes se rangeaient pour nous éviter ou ne pas nous déranger...
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé ton récit qui "sent le vrai"
..ça sent le vrai, parce que je n'ai rien inventé...
SupprimerUN texte de "paresseux", en fait ! ;-)
J'aime ton récit qui a su rassembler tous ces petits bonheurs vécus dans un espace bien particulier. Malgré les contraintes, la vie sait trouver de quoi vivre, de se réjouir.Cet escalier a été un témoin précieux.
RépondreSupprimerPour ma part j'ai grandi à la campagne dans une maison et les souvenirs les plus forts se sont déroulés dans les vastes prairies qui jouxtaient la maison. Cela imprègne une vie.
La chance que j'ai eu, c'est que parallèlement à cette vie "en ville", j'avais aussi le temps passé dans le village de mes grands-parents (tout petit village très rural). souvenirs de granges pleines de foin et de longues après-midi passées à se promener dans les champs, à construire des cabanes...etc.
SupprimerJ'avais donc déjà un bon contact avec la nature...même si mes camarades à l'école, étaient, eux, principalement des enfants de HLM...
Il est bon, dans la vie, de tout connaître...:-)
J'ai lu plusieurs écrits sur ce sujet imposé par la photo mais personne (sauf erreur) ne parle d'avoir dévalé l'escalier à califourchon sur la rampe . Et pourtant, cette prise de risque (fort défendue par les parents) était promesse d'ivresse ! Bonne soirée.
RépondreSupprimerEuh...jamais tenté !
SupprimerTout simplement, parce que, quand tu es au troisième étage, ça ne s'appelle plus un jeu...ça s'appelle une tentative de suicide ! ;-)
La mémoire et l'écriture, rien de tel pour retrouver le temps perdu ! ;-)
RépondreSupprimer"Marcel" ne l'aurait pas mieux dit... ;-)
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