Il naquit dans la sciure, sous un ciel de toile bleue et rouge, quelque part entre deux routes. Enfant, il croyait que le monde entier sentait le crottin tiède, le foin humide et la mandoline de son père. L’école n’était pas une maison fixe mais une roulotte où l’on apprenait à compter avec les billets du guichet et à lire dans les yeux des spectateurs. Cet âge fut celui de l’émerveillement, quand chaque chute était un jeu et chaque gifle de farine ou de sciure une caresse.
Puis vint l’âge du travail acharné. Zavatta s’inventa clown-musicien : accordéon en bandoulière, banjo, trompette… Il apprit à se casser la figure avec élégance, à s’offrir en maladresse pour mieux révéler la grâce. Le public riait, riait toujours, et parfois, il l’espérait, pleurait un peu. Derrière le maquillage, lui savait combien les os souffraient, combien la route était longue, combien il fallait de courage pour lever un chapiteau chaque matin.
L’âge de la gloire arriva comme une fête tardive : la télévision s’enticha de ce visage barbouillé, de ce clown tendre et jamais méchant. Zavatta entra dans les foyers comme un vieil oncle drôle. Mais la gloire est une amante capricieuse : elle éclaire et elle brûle. Le cirque traditionnel s’essoufflait, les enfants se tournaient vers d’autres écrans, et le vieux clown sentit qu’il devait lutter contre l’oubli.
Et puis l’âge des ombres. Les muscles refusaient, le cœur se
serrait, les routes semblaient trop longues. Le maquillage cachait mal
la fatigue. On ne rit pas toujours des rides nouvelles. Alors Zavatta
chercha des lieux de silence, là où le rire n’est pas exigé.
Il pensa à l’affiche de ses soixante-six ans : deux six qui se regardent comme deux visages en miroir. Le troisième, invisible, il le portait en lui, comme un saut de plus que seul le temps révèle.

Alors, dans la grange en contrebas, s’est jouée une autre scène :
celle d’un mulet têtu et d’un clown musicien sans fard, réunis autour
d’un piano fatigué et d’un bol tibétain.
Case 1— Découverte / Épreuve
Visuel : Finistère répond à la note fluette, joue un accord
maladroit ; une grande tige jaillit du bol tibétain et s’enroule autour
d’une chaise.
Les nourrices observent, perplexes.
Grand-mère : « Chut. Il compose. »
Finistère, concentré : « Si je force, ça devient une forêt ? »
Case 2 — Le pèlerin démystifié (vignette courte, plan poitrine)
Visuel : Entrée du pèlerin, le clown musicien, nouveau compagnon de
route ; il s’assoit sur un tabouret, essuie son maquillage d’un geste
lent. Les traits du visage redeviennent humains. On voit de la sciure
sur ses manches.
Texte narratif (encadré, doux) : « Parfois, les masques se rangent comme des outils. »
Clown, presque en murmurant : « J’ai gardé un coin de papier, pour si jamais… »
Case 3— Le poème
Visuel : Le clown, sans maquillage, écrit sur le revers d’une
affiche déchirée. Une plume improvisée, quelques taches d’encre.
Finistère écoute, une oreille attentive.
Poème (dans une bulle-légende, court, fragile) :
« Quand la note tombe,
la terre la cueille ;
quand je me démaquille,
le rire devient poignée de terre.
On n’emporte pas le cirque,
on emporte une poignée de poussière. »
Finistère, avec un petit sourire : « C’est beau. On dirait une plante qui apprend à parler. »
Case 4 — Conséquence dramatique / Quasi-climax
Visuel : Finistère et le clown jouent une mélodie entière,
maladroite, magnifique, et la grange se couvre en quelques secondes de
fleurs et de pousses : pissenlits, vigne, un petit bouleau même. Les
nuages au loin s’écartent.
Texte narratif : « Leur musique ne sauvait rien. Elle faisait pousser autre chose : des doutes, des chemins. »
SFX : RUMBLE léger, chant d’oiseau.
Case 5— Plan final, image forte
Visuel : Plan serré sur Finistère debout sur le banc du piano,
regard vers l’horizon, sabots sur les touches, le clown musicien à ses
côtés écrivant la dernière ligne. La montagne respire.
Texte narratif (encadré, phrase-lame) : « Il n’avait pas brisé la boucle. Il l’avait seulement éclairée d’une autre lumière. »
Finistère, tranquille : « Demain, on essaiera Chopin. Ou on plante un arbre. »
Zavatta repartit du Mont, plus léger, comme si la montagne avait accepté de porter un peu de son fardeau.
J'ai eu un peu de mal à "recopier" ton texte et tes images tels qu'ils étaient publiés chez toi, Lothar.
RépondreSupprimerAlors, du coup, emportée par mon élan...j'ai fait quelques modifications de mise en page...j'espère que tu ne m'en voudras pas !
J'aime ton développement sur le "clown drôle - clown triste"...ça raconte un peu l'histoire de chacun.
RépondreSupprimerEt ça dit quelque chose de la vieillesse : serait-ce l'âge où les "masques" tombent ? (ceux qu'on endosse volontairement).
SupprimerEn effet la vieillesse, c’est le moment aussi où les masques pèsent trop lourd et finissent par tomber d’eux-mêmes. Ils se détachent seuls. C’est pour que j’ai mis cette scène du clown qui essuie son maquillage : non pas pour l’effacer, mais pour montrer qu’il redevient lui-même, simplement un être humain.
Voilà un traitement de la consigne très original et intéressant.
RépondreSupprimerJ'ai bien émis les illustrations qui ramènent à nos enfances.
En ce sens Zavata et aussi pour moi associé à l'énorme et puissante catastrophe du barrage de Malpassé en 1959, à une heure où ce clown faisait son numéro à la télévision et son unique chaîne.