mercredi 22 octobre 2025

JEU 112 : "La société du spectacle" - Lothar

 

 

 

 

Bégayage de le et même dû à l’âge, opération survie, Diable ! Cre-do in u-num de-um…

À voir toutes ces émissions de télé-réalité d’aventure, je devine bien que votre monde actuel tourne un peu blasé. C’est devenu la société du spectacle. À outrance. À mon époque ce ne fut pas mon cas, car moi je dus survivre. À la vie, à la mort.

Mon esprit, lui, se promène librement sur votre monde, et j’ai sans doute mérité ceci, grâce à mes peurs bleues et grâce à toutes mes souffrances endurées de mon vivant.

En effet, il y a bientôt cinq cent ans que mon navire a sombré dans la nuit, et que je me suis retrouvé, seul, sur un banc de sable salvateur au large du Pérou.

Mais au petit jour le constat est sans appel, le banc de sable est minuscule, il n’y a pas de végétation, pas de gibier, pas d’eau potable. Ce n’est que du sable, sans un caillou, et de quelques mètres de hauteur.

N’ai-je survécu à ce naufrage pour venir périr ici d’une lente agonie ?

La marée rogne mon espace, et je me réfugie bien au centre le plus en hauteur possible. Le soleil est inexorable, alors je me protège dans les flots. Jusqu’au cou. J’ai faim et surtout je commence à avoir très soif. C’est l’enfer sur terre, ici bien au milieu de l’océan.

Mais je me dis, non Pedro, il te reste ton couteau… et ton cerveau. Je fouille les algues apportées par la marée, j’y trouve des crevettes, je creuse dans le sable et j’avale quelques coques bien salées.

Tout à coup de grosses tortues de mer. Elles viennent prendre un bain de soleil. Mon sang ne fait qu’un tour, je me précipite le couteau à la main et j’en égorge une sur le champ. Je me désaltère et je boucane sa chair découpée au soleil. J’ai très soif, je retourne la carapace vide. Dieu m’enverra peut-être de l’eau ?

Les averses viennent chaque nuit. Les tortues, chaque jour Les carapaces servent d’abri, de réserves d’eau. De là à dire que c’est un peu la routine…

Pedro Serrano, il te faut signaler ta présence. Il faut faire du feu. Je mets ce goémon à sécher, et je cherche un caillou. Rien, rien de rien… je regrette … Charles dixit. Alors, il me faut plonger. Et replonger. Au bout de deux mois, en plongeant plus profondément, je finis par trouver quelques galets. Un couteau, une pierre à feu, l’étincelle, et c’est le commencement du monde des hommes.

Des hommes, oui, et le plus incroyable c’est que trois ans plus tard j’ai trouvé mon Vendredi ! Un naufragé arrive à quatre pattes sur le sable, un matin. Surpris, affolés, nous croyons tous deux voir le Diable en personne… horrifié par mon apparence pileuse il s’enfuie en hurlant, et moi je hurle en fuyant. En un beau raffut primordial !

Puis l’autre diable tout à coup inspiré par je ne sais quoi entonne un « Cre-do in u-num de-um… « , ce chant fameux universel, Credo le plus célèbre de la chrétienté, un peu comme la chanson « Imagine » de Lennon, de vos jours, oui, imagine… je lui réponds. Nous tombons dans les bras l’un de l’autre.

Alors, on se partage les tâches, on se dit tout, on se raconte nos secrets, nos exploits, nos aventures, nos femmes, et ce pendant une année entière…

Puis la haine arrive avec ses méchancetés, ses insultes, ses bagarres…

On se réconcilie, par intervalle, faute de mieux, et Miguel et moi, on alimente le feu, et on attend.

Quatre ans ont passé à guetter l’horizon, quand un jour, un navire intrigué par la fumée du feu arrive et envoie une chaloupe. Mais tout à coup, les marins voyant s’agiter deux beaux diables velus et hirsutes sur le rivage, font demi-tour : « Signons-nous, et éloignons-nous de ces lieux maudits ! »

Alors unissant nos forces, Miguel et moi entonnons désespérément d’une seule voix tonnante et tonitruante à tue-tête le Credo !

Quelque jour après, Miguel mon compagnon meurt sur le chemin du retour. De trop d’émotions sans doute. Depuis en Europe, ayant barbe gardée comme une preuve, je vais de foire en foire exhibé à demi-nu comme une bête curieuse. Il me faut bien manger.

L’Empereur Charles Quint roi d’Espagne qui a eu vent de mon histoire, me fait mander en Allemagne, et me fait don d’une bourse d’or de quatre mille pièces de huit reals. En rente. Un trésor dont je compte bien profiter un peu chez moi au Pérou, en face de mon île, mais j’ai la mauvaise idée de mourir sur le chemin, à Panama, là, entre les deux océans… Ce n’était pas demander le Pérou pourtant…

Depuis, j’erre de par le monde, et je vous observe. Je regarde la Télé, la lucarne magique ou du moins ce qu’il en reste, et je suis sur Internet aussi. Pour passer le temps. Mais mon état d’esprit ne risque pas d’évoluer, car quand je tombe sur Dual survival, Bear Grylls, Bienvenue dans ma tribu, Koh-lanta, Survivor ou The Island voire Kenji Girac Vs Maître Gims and so on … Je suis mdr top trop grave, grave … Grave !

 

Lothar

 

 
 
 
 

2 commentaires:

  1. Tu décris drôlement bien la vie de Robinson , perdu hors de la civilisation...
    Et, en effet, ce doit être un peu monotone.
    Tout l'inverse de notre vie actuelle, submergée par les infos en tout genre
    et le spectacle continu des medias.
    Mais credo in alium mundum...:-)

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  2. Bonjour fantôme Pedro... Eh oui de l'aventure en télé réalité, de quoi rire après ce que vous avez vécu, sans le vouloir, beau texte, jill

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