mardi 5 décembre 2023

Agenda ironique 3 : "Pencher à noël" - La Licorne

1er décembre :  Aujourd'hui, Papa a rapporté le sapin à la maison. Après l'avoir traîné sur deux étages, il était en nage. Moi, j'étais trop content. J'ai tapé des mains et j'ai sauté dix fois sur le divan en criant "Merci Papa, merci Papa !". Mais maman est arrivée et elle n'avait pas l'air aussi contente que moi. Elle a regardé Papa d'un drôle d'air et a dit : "Il fait au moins deux mètres cinquante ! Tu es sûr qu'il va rentrer dans le salon ?". "Mais oui, a dit Papa, fais-moi confiance ! "

2 décembre : Il est magnifique, notre sapin. Avec ma soeur Juliette, on a accroché plein de trucs brillants dessus. Pour une fois, Maman nous a laissés faire presque tout seuls...Faut dire qu'elle était fatiguée, maman. Elle venait de passer plus d'une heure à balayer les marches parce que la voisine du dessous, qui a 80 ans, était venue se plaindre. "Je vais me casser les deux jambes !" a-t-elle crié dans la cage d'escaliers. Dépêchez-vous d'enlever ces aiguilles de malheur ou je vais me plaindre au concierge !"

Papa était fatigué aussi : il avait mis deux heures à scier le tronc pour que la cime ne touche pas le plafond. Il avait dû s'y reprendre à plusieurs fois et puis ensuite Maman l'avait aidé à le placer dans le pied en plastique, mais ça avait été compliqué. Elle s'est griffée deux ou trois fois le visage avec les branches (trop longues), et à la fin, elle a dit : "C'est bon, je te laisse faire". Du coup, Maman a un pansement sur le nez et le sapin penche beaucoup...vraiment beaucoup. Moi et Juliette, on trouve que ça lui donne un air original. 

On adore noël, ma soeur et moi. On ne pense qu'à ça, pendant le mois de décembre...à la fête, aux cadeaux. Si on osait, on ferait l'école buissonnière et on passerait 24 jours à décorer l'appartement !

5 décembre : Aujourd'hui, le facteur est venu chez nous pour nous vendre ses calendriers. "Entrez donc, Michel ! " a dit Maman. Il est entré dans le salon et il a regardé longuement le nez de maman... et le sapin. A mon avis, c'est parce que c'est le plus beau du quartier ! J'étais drôlement fier !

 

 

Maman lui a offert un café et ils ont discuté trois quarts d'heure, tous les deux. Il est bavard, le facteur. Maman l'aime bien, je crois. J'ai remarqué qu'il reste plus longtemps chez nous que chez tous les autres voisins. Mais Papa ne l'aime pas, lui. Il dit toujours : "Quel péroreur, ce facteur !".  

 "C'est quoi un Père Horreur ? a demandé une fois Juliette, c'est une sorte de Père Noël ?" Qu'est-ce qu'on a ri !!!

10 décembre : Cet après-midi, nos parents sont allés faire des courses. Et contrairement à d'habitude, on ne les a pas accompagnés. C'est bizarre, ça n'arrive pas souvent. "Tu es grand, m'a dit maman, tu vas rester à la maison et bien t'occuper de ta petite soeur, d'accord ? On revient vers 5 heures.  Soyez sages, tous les deux !"

J'ai promis d'être sage et Juliette aussi. On a joué un peu au Monopoly, mais pas longtemps, parce que Juliette, elle est trop petite pour compter les billets et moi, j'en ai eu vite assez de compter pour deux. 

"Qu'est-ce qu'on pourrait faire ?" a demandé ma soeur. J'ai cherché quelque chose d'intelligent à faire. D'abord, je ne trouvais pas, et puis soudain, j'ai eu une idée. "On pourrait peut-être terminer la décoration du sapin, maman dit qu'il manque un peu de guirlandes. "Oh, oui, super !" a dit ma petite soeur.

Je suis allé cherché le carton : il était vide. Alors Juliette a commencé à chouiner : "Je veux décorer le sapin, je veux décorer le sapin ! Ouin ! Ouin !" J'étais bien embêté. Je n'aime pas quand elle pleure. "Attends ! ai-je dit, on va trouver quelque chose pour remplacer les guirlandes. Je suis allé dans la pièce du fond, celle où maman met sa machine à coudre. 

Et là, miracle ! J'ai trouvé tout un tas de guirlandes toutes blanches, très jolies. On a pris des ciseaux et, avec Juliette, on en a découpé plein de petits bouts, qu'on a posés au bout des branches. On aurait dit des flocons de neige, c'était vraiment beau.

J'étais sûr que Maman allait trouver ça beau aussi. Quand elle est revenue, je l'ai accueillie avec un grand sourire et je l'ai emmenée au salon pour lui montrer notre créativité.

Mais au lieu  de nous féliciter, elle s'est mise à hurler : "Ma guipure ! Ma guipure ! " et puis elle s'est fâchée tout rouge et nous avons été privés de dessert , tous les deux. On n'a pas vraiment compris pourquoi. Les adultes, c'est difficile à comprendre.

15 décembre  : Hier soir, Tonton Gérard est passé nous rendre visite. Il est rigolo, Tonton...Il a toujours le mot pour rire. Quand il a vu le sapin, il a dit : "Génial ! On se croirait à Pise !" . "Tu veux pas commencer par une petite lichette de Rome ? " a surenchéri Papa, en sortant les verres.

20 décembre : Ce matin, Papa s'est enfermé dans le débarras, avec un air sérieux, des grands ciseaux et du scotch. On a entendu comme des bruits de papiers froissés...ça a duré un certain temps...et puis, tout d'un coup, il est sorti en se tenant le doigt. Il était tout blanc. Maman a essuyé le sang et puis, elle lui a bandé l'index...Moi, hum...j'ai bien essayé de jeter un coup d'oeil dans la pièce interdite, mais sans succès.

23 décembre : Nous avons passé toute la journée chez Grand-Mamie. Parce que Maman avait beaucoup à faire pour préparer la veillée de noël. Le ménage, la cuisine..."Ce serait mieux que je ne les aie pas dans les pattes, a-t-elle dit à Grand-Mamie. Tu peux me les garder ?". Elle a dit oui, Grand-Mamie.

Grand-Mamie, c'est notre arrière grand-mère. Elle est gentille. Elle a les cheveux tout blancs, blancs comme la guipure. Et puis elle raconte bien les histoires. Elle a des expressions bien à elle. Elle dit de jolies phrases d'avant. Ce soir, elle nous a dit : '"A mon âge, on a tellement de souvenirs...Vous savez, les enfants, la mémoire est comme le dessus d'une cheminée, pleine de bibelots qu'il sied de ne pas casser, mais qu'on ne voit plus."

24 décembre : ça y est ! Enfin ! Le grand jour est arrivé ! Après l'office vespéral, toute la famille est réunie autour de la table ! Y'a Tata Monique, Tonton Gérard, Mamie, Papi et Grand-mamie...mes cousins, mes cousines et nous. Tout le monde félicite maman pour sa dinde. Elle est ravie. Papa débouche de grosses bouteilles, Tonton raconte des blagues, Papi verse une larme en évoquant sa jeunesse et nous, les enfants, on est excités comme des puces...on n'attend qu'une chose : les cadeaux !

 Vers 22 heures, Juliette nous appelle : le lait et les carottes, déposés dans l'entrée pour les rennes, ont disparu ! Le Père Noël est passé !

On se précipite...vers les paquets. En moins de deux, Juliette déballe le sien : c'est une grande poupée aux boucles blondes. Moi, juste à côté, je ne bouge pas. Je fixe intensément le papier cadeau : sur le côté du paquet, il y a, bien nettes, trois petites gouttes de sang. 

Je comprends. Je blêmis. Et c'est à cette minute précisément, à 22h04, que la magie de noël s'écroule d'un coup...pile en même temps que le sapin du salon...dans un grand fracas. 

Grand-Mamie ne va pas être contente : les bibelots sur la cheminée sont tous cassés.


La Licorne




7 commentaires:

  1. Excellent texte « à la manière de… »
    ça rappelle des souvenirs de jeunesse…
    j'ai ri comme l'enfant que je fus…

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    1. Merci Alain !
      J'ai toujours beaucoup aimé "Le petit Nicolas" et l'humour de Goscinny.
      C'est une façon de lui rendre hommage...

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  2. Très beau texte, à la fois drôle comme un petit Nicolas mais avec une chute qui m'a fait rebondir beaucoup plus loin.

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  3. De la neige de guipure sur le sapin, ça doit être très beau ! 24 jours d'attente magique qui se termine sur cette illusion fracassée, ouch, ça fesse ! Comme un sapin renversé 😉. Un texte plein d'humour qui dépeint bien les hauts et les bas de l'Avent du point de vue d'un enfant, bravo !

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  4. Très chouette texte qui me ramène bien loin dans une enfance qui m'aurait parue idéale 😊

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    1. Il faut parfois prendre le temps de replonger dans les lointains souvenirs...L'enfance n'est pas si loin ! Bises de 2024.

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