Lorsque, ce jour-là, Yolande De Ladentellière, riche héritière de la Côte bretonne, glissa sur un rocher et se fractura l'occiput, ce n'était pas sa première chute.
Elle était déjà "tombée" plusieurs fois.
La première fois, c'était "en amour"...quand elle avait suivi, à vingt ans, sur un coup de tête, un beau militaire américain, croisé pendant les fêtes de la Libération. Le jeune homme, habile, lui avait fait miroiter monts et merveilles...Conquise par son allure, son accent et ses muscles saillants sous son "marcel", elle l'avait alors suivi au bout du monde...au grand désespoir de ses parents, qui n'avaient pas réussi à l'en dissuader.
La deuxième fois, c'était "dans la misère", quand, au bout de trois ans d'escapade, son père, excédé par sa fuite irraisonnée et son indifférence aux appels familiaux, lui avait brutalement "coupé les vivres". Comme on le sait, un malheur n'arrive jamais seul : dans les mois qui suivirent, son bel amoureux lui avait, on ne sait pourquoi, trouvé beaucoup moins d'attrait... et l'avait plantée là, sans autre forme de procès, en prétextant un appel urgent de sa hiérarchie dans le cadre d'un conflit lointain.
Et la troisième fois, eh bien, c'était quelques jours plus tard, quand elle s'était aperçue qu'elle était "tombée enceinte" au moment des adieux.
Afin de ne pas tomber plus bas encore, elle s'était vue contrainte, tel l'enfant prodigue, de rentrer au pays...afin de demander pardon à son père et d'y élever ses jumeaux, Camille et Albert, dans la plus grande discrétion possible.
Depuis, elle végétait, déprimait et se morfondait au fond de son château, pensant et repensant sans cesse à ce destin en forme d'ourobouros qui avait dévoré ses rêves et l'avait ramenée, en un clin d'oeil, à l'endroit qu'elle cherchait à fuir.
Ses seules distractions étaient ses promenades matinales à la plage. Elle y marchait chaque jour. Elle disait vouloir promener le chien, mais c'était surtout elle qui, à vrai dire, éprouvait le besoin irrésistible de sortir et de prendre l'air.
Ce matin-là, elle avait ôté ses chaussures et s'était avancée sur un petit
rocher moussu. Comme d'habitude, ses yeux fixaient l'horizon, comme si,
par un miracle inconnu, elle avait pu entrevoir par-dessus la mer, le pays
qui avait bercé ses jours heureux.
Derrière elle, son petit chien reniflait bruyamment : il aimait dénicher les crustacés...et à chaque balade ou presque, faisait des découvertes étonnantes. Récemment, il avait ramené une sorte de fossile conchoïdal, dont Mr De Ladentellière avait déclaré, ravi, qu'il datait sans doute du Sinémurien ! Sacré Olaf ! Il savait amadouer le vieux, lui...bien mieux qu'elle n'avait jamais su le faire !
Afin de voir ce que faisait le chiot, elle fit un quart de tour sur elle-même... et c'est là qu'elle perdit l'équilibre ! Son pied glissa et sa tête frappa durement le rocher.
Quand elle se réveilla, elle était allongée dans son lit. Sa vieille mère était penchée sur elle. Ses enfants étaient debout à la porte.
- Approchez, mes petits ! Ne vous inquiétez pas ! Maman va bien !
Les enfants, rassurés, lui sautèrent dans les bras. C'est alors qu'elle se rendit compte qu'elle avait perdu leurs prénoms...
- Mon mandarin, ma mandarine ...je vous aime ! Ma Camomille ... mon Arbalète ...mon Camembert...vous êtes mes chérubans, mes armours, mes poursins...
Les deux boudchoux se regardèrent, interloqués : maman parlait bien étrangement !
Le médecin confirma : le traumatisme crânien avait touché la sphère du langage. Il allait falloir être patient...
Hélas ! Malgré les soins et la rééducation, Yolande ne retrouva pas les mots. Depuis ce jour, son esprit reste embrouillé et ses phrases continuent de s'emmêler dans un joyeux désordre, émaillées de mille lapsus dinguae que seule sa famille proche arrive à décoder.
Bon, ne le répétez pas, mais les gens du village, qui la croisent souvent à la plage, abritée sous son grand chapeau, ne l'appellent plus "Mademoiselle De Ladentellière", mais plutôt..."Tata Yoyo" !
...Chuuut !
La Licorne
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J'ai mêlé ici deux consignes :
celle du JEU 97
(photo et mots du titre)
et celle de l'Agenda ironique de juillet-août :
(à lire chez Tiniak)
Sur le thème de "La chute",
il convenait de placer les mots :
camembert, mandarin, mandarine,
Sinémurien, ourobouros et conchoïdal...
.
John Duff souhaitait aussi :
- la présence d'un personnage en "marcel",
et l'utilisation d'une locution latine
(éventuellement détournée)
.
Petite vérification : tout y est !
Oufff !
:-)
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Bon, eh ben : ...GRAND CHAAAPEAU 🎶, Dame Licorne !
RépondreSupprimerCe récit m'a si tant bien chantourneboulé les bigornouilles que j'en suis encore pour mes sèches !
Rhalalaaa... Margie de les cris...
Brova ! Brova ! Et à bientît, Lamie 🥸
Et donc... C'est vu, c'est pris ! 🤓
RépondreSupprimerAinsi, dûment versé à la liste des contributions, pour l'Agenda Ironique en cours, par ici...
https://polesiaque.wordpress.com/2024/07/23/les-textes-de-la-i-de-lete-2024/
Profite au mieux de cette période estivale, Amie Chère.
Fidamicalement, D.
Merbi, merti, merciiiii...Tiniak !
SupprimerPour la publication du lien mais aussi pour tout le travail de récapitulation...
En plein cagnard, en pleines vacances, et en pleins JO...
c'est de l'héroïsme !
Je reste bien sûr agendalement, ironiquement et fidèlement vôtre ...
et m'en vais de ce pas lire les autres textes.
Merci encore et bon mois d'août à toi !
Un bien belle histoire en vérité ! On frise l'ésotérique avec ces mots agendiens ! Bravo !
RépondreSupprimerJe planche...;-)
Esotérique, je ne sais pas... mais John ne nous a , en effet, pas facilité la tâche...
SupprimerL'association du Camembert et du Marcel avec l'Ourobouros et le Sinémurien relève de l'exploit !
Je te souhaite bon courage si tu t'y "colles" ! ;-)
Mais tu peux aussi te limiter à mes consignes (beaucoup plus "cools", en comparaison, tu en conviendras)
Amitiés.
C'est Licornesque à souhait et à foison.
RépondreSupprimerUne belle mélangeation de mots et de maux judicieusement enlacés. On hésite entre le camembert Sinémurien ou si l'ourobouros se mord la mandarine.
Pour ma part j'en ai perdu mon latin de citation.
Merci Alain !
SupprimerCe fut épique, en effet, presque aussi dur qu'une version latine.
Avec les JO, on est plutôt dans le grec, en ce moment...mais il fut une époque (lointaine) où je maîtrisais "grosso modo" la langue romaine...
Peut-être serait-il temps que je m'y remette ?
De retour après un voyage lointain, je découvre ton texte et je dis : bravo.
RépondreSupprimerTu as parfaitement respecté les consignes et ton texte est plein d'humour et de subtilité. Je me suis amusé tout le long.
Je souhaite à Yolande de s'en remettre et pour cela, de retomber amoureuse.
John Duff
Merci John !
SupprimerOui, qu'elle "retombe" amoureuse...c'est ce qu'on peut lui souhaiter...
Rien de tel qu'une chute pour soigner une autre chute ? ;-))
Passer de San Antonio à Annie Cordy en y mêlant tant de mots savants et ce sans parler des J.O., c'est très fort ! ;-)
RépondreSupprimerJe viens d'envoyer ma contribution. Si elle se perd dans les limbes elle est quand même visible et récupérable là : http://argentiquites.canalblog.com/2024/08/la-vieille-dame-qui-marchait-dans-la-mer.html
Bonne fin de vacances à toutes et à tous !
Je t'ai publié, Joe !
SupprimerMerci à toi de penser à Filigrane...
à peine rentré de vacances...
J'espère qu'elles ont été bonnes !
Perdre ses mots permet un élargissement de vocabulaire bien utile et laisse libre cours à une imagination qui, che toi, est débordante :-D merci de ce florilège linguistique
RépondreSupprimerC'est ça : on peut à la fois perdre ses mots et en créer...
SupprimerBon week-end à toi, Gibulène !
C'est sûr que quand on a perdu ses mots le mieux est de remplir la page blanche avec de nouvelles créations 😉. J'ai nagé en pleine folie sans glisser sur le rocher! Et j'ai découvert une version insolite de la chanson de notre baronne Léonie 👍.
RépondreSupprimerBonne fin de journée.
Surprenante, hein, cette version de Tata Yoyo ? :-)
SupprimerBonne fin de journée à toi aussi !
Allez ! Encore un chti "clap" d'encouragement pour ce texte qui figure désormais au palmarès en cours de l'Agenda Ironique.
RépondreSupprimerA très bientôt par ici...
https://polesiaque.wordpress.com/2024/08/31/les-votes-pour-lete-2024/
Zoubixmes 🤓😂
Ben on va aller faire son choix, alors !
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