jeudi 21 avril 2022

Mot inconnu

 

Pour l'Atelier de Villejean 

 


 

Voilà dix jours qu'ils dérivaient. Dix jours qu'ils s'accrochaient, par désespoir, à quelques planches mal clouées. Dix jours qu'ils subissaient le soleil brûlant, le vent désséchant et les vagues salées...Les trois quarts d'entre eux avaient sombré...ceux qui restaient étaient au bord de la démence. Louis tentait de rassembler ses dernières forces, mais à vrai dire, il n'avait plus qu'une obsession : rester en vie.

Il regardait les corps autour de lui...

Vêtements en lambeaux qui laissaient apparaître une peau pâle comme la mort...cheveux collés par le sel...côtes apparentes...ses camarades n'étaient plus que des morts-vivants, plus que l'ombre d'eux-mêmes...Régulièrement, un rescapé basculait...et le bruit de son corps plongeant dans l'eau, le plus souvent au milieu de la nuit...au milieu de son sommeil...ne faisait presque plus réagir personne.

Seuls ceux qui avaient pu trouver un morceau de ficelle suffisamment solide pour s'attacher réussissaient à "tenir" sur cet esquif ballotté dans tous les sens. Louis  faisait partie du lot et il veillait à tout moment sur la corde salvatrice. 

Il avait maintenant du mal à éprouver quoi que ce soit. Les émotions exacerbées du début avaient laissé la place à une apathie résignée, à une économie de gestes et de sentiments, qui frisait l'indifférence. Les sensations corporelles primaient sur tout le reste : le froid, la douleur, la faim. Plus rien d'autre n'existait. Les frissons. Le vide au creux du ventre, le vide insupportable.

Il observa de près son voisin le plus proche...Cela faisait deux jours que le malheureux n'avait plus prononcé un mot. Il était inerte. Cramponné au mât. Ses joues, sous l'effet du soleil, étaient devenues écarlates...Son nez, agressé par le sel, avait doublé de volume...la peau de son front commençait à se rider comme une vieille pomme...

Le soleil tapa encore plus fort ce jour-là. La tête lui tournait. Il avait des visions dérangeantes...au début de la soirée, son voisin perdit conscience. Au matin, il ne donnait plus aucun signe de vie. Louis n'aurait su dire ce qui se passa ensuite. Il ne se souvenait de rien. Juste du fait que le vide, le vide insupportable s'était calmé.

Ce n'est que deux jours plus tard qu'ils croisèrent l'Argus. Plus personne n'y croyait. On les débarqua à  Saint-Louis. Et pendant qu'ils reprenaient des forces, les journaux s'emparèrent aussitôt de l'affaire. Des mots terribles circulèrent : naufrage-scandale-incompétence-désastre-hécatombe...

Le dernier, le plus terrible de tous ne le toucha qu'à retardement, mais définitivement. C'était un mot qu'il n'avait jamais entendu auparavant, un mot étrange, à consonance scientifique, un mot qui ne semblait pas fait pour lui, un mot qu'il aurait aimé ne jamais connaître...Pourtant il s'étalait un peu partout à la Une des journaux du monde entier et il était désormais impossible d'y échapper : "ANTHROPOPHAGIE".

 

 La Licorne

 


 

 

Consigne : "Faites parler les tableaux"

Choisissez deux tableaux célèbres.

Racontez le personnage du premier tableau : qui il est, ses petites habitudes, ses jeux préférés, son caractère, s’il vit tout seul ou non, etc.

Le second tableau représente le rêve ou le cauchemar que le personnage du premier tableau fait toutes les nuits.

Racontez ce rêve et ce qui va se passer pour le rêveur, comment son rêve agit sur lui et l’incite à dire ou faire des choses et quelles choses.





 

2 commentaires:

  1. On sort d'autant plus médusé (oui, j'ai osé !) de cette lecture que nous vivons encore en des temps où la sauvagerie a pignon sur rue - et ce alors qu'aucun accident ne justifie cela. C'est juste notre monde qui fait naufrage ?

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    1. Le radeau de la Méduse pourrait bien être, en effet, une métaphore de notre temps : un commandant n'ayant jamais jamais jamais navigué...qui n'a dû son poste qu'à ses relations avec le pouvoir...et qui, de mauvaise décision en mauvaise décision, conduit l'équipage à la catastrophe totale...

      Mais, bon, je dis ça, je dis rien...;-)

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