dimanche 20 août 2023

JEU 85 : "Recette de la véritable pagnolade provençale" - Joe Krapov

 

RECETTE DE LA VÉRITABLE PAGNOLADE PROVENÇALE

 

INGRÉDIENTS :

- Une marmite de ragoût de mouton qui est tombée du 1er étage de chez L’Amélie ;

- Un percepteur néo-rural avant l’heure : en prévision de la crise sanitaire liée au (à la?) Covid-19 et à la fièvre de télétravail qui va s’emparer du monde entier, il a décidé de retaper le mas familial en ruines et de s’y installer avec femme et enfant pour devenir cuniculiculteur et en même temps vivre de sa production agricole en circuit court . Il faut le choisir de préférence un peu bossu mais sans faire référence à Henri de Lagardère ou à son descendant Arnaud. Quoique… ;

- Une sourcière bien aimée. C’est la fille du percepteur baba-cool. Écologiste dans l’âme, elle sait s’occuper des caprins sans que la bête de M. Seguin ne la rende chèvre, elle connaît tout le territoire de la garrigue, notamment les endroits où l’eau jaillit de la montagne. Grâce à sa discrétion elle surprend des conversations compromettantes du style pot-aux-roses même s’il s’agit avant tout d’une histoire d’oeillets ;

- Une tenue de chasseur de luxe de nature à faire oublier les tartarinades du bachi-bouzouk de Tarascon. Mais l’habit ne fait pas le moine comme diraient entre deux messes le curé de Cucugnan et le Révérend père Gaucher ;

- Un garçon de ferme célibataire qui rêve de devenir riche grâce à une reconversion dans l’horticulture. Un nommé Ugolin fera très bien l’affaire, surtout s’il entre bien dans la tenue de chasseur de luxe ;

- Un sac de ciment à prise rapide. Il servira à boucher, en cachette d’à peu près tout le monde, les sources sises sur le terrain appartenant au percepteur. Cette histoire d’élevage de lapin et d’intrusion illégale sur une propriété privée nous rappelle l’invasion de la villa de Christian Clapier en Corse ;

- Et justement il faut ajouter un parrain. Il est vieux, il est riche, roué, madré, manipulateur. C’est lui qui porte le chapeau mais il ne se salit pas les mains. Il laisse les basses œuvres à l’Ugolin ;

 


 - Une photo de Claudia Cardinale qui trempe ses jolies mains dans une fontaine pour une publicité contre la canicule « Hydratez-vous ! ». Cet ingrédient est facultatif mais, comme la cerise sur le gâteau fait saliver les dames, il fera peut-être baver les messieurs ;

- Une mule, même pas du pape, ou un mulet mais pas le poisson. Quatre pattes, grandes oreilles, sachant porter de lourdes charges. Un âne comme celui d’« Antoinette dans les Cévennes » peut éventuellement faire l’affaire mais depuis que l’animal a ouvert un cabinet de psychnalyste, il ne s’intéresse plus aux auteurs et autrices de fictions. La bête que vous achèterez n’aura du reste qu’un tout petit rôle dans la réalisation de la Pagnolade : exactement comme l’Arlésienne de Bizet, on lui demandera simplement de ne pas être là le jour où l’on aura besoin d’elle ;

- De l’anisette. Encore de l’anisette. Toujours de l’anisette ;

- Des habitants du village qui causent à n’en plus finir autour de l’anisette ;

- Un flashback un peu coûteux composé d’un bataillon de soldats français en Afrique et d’un facteur qui perd une lettre d’une importance capitale en déclarant « Un coup de dés jamais n’abolit le hasard ». En suite de quoi le porteur de djellabah, Mohammed Ben Mallarmé, s’en va faire sa partie de 421 avec ses coreligionnaires au bistrot du bled mais pas autour de l’anisette : quand on fait aussi mal un travail d’Arabe mais qu’on est un bon musulman indépendantiste on s’abstient de boire de l’alcool ;

- Une corde solide avec un noeud coulant ;

- Un pastis… Non, un pastiche de Georges Brassens : « La pendaison, papa, ça ne se commande pas » ;

- Une vieille femme aveugle qui joue le rôle du choeur antique et du Deus ex machina ;

- Un instituteur peu ordonné qui cherche par tous les moyens à se débarrasser de son couteau suisse. Mais qu’est-ce qu’ils ont contre les Helvètes, les Provençaux? Plutôt que de faire confiance aux banques des bords du lac Léman ils gardent leurs économies sous leur oreiller et ils se méfient des livres de Jean-Jacques Rousseau et des autres ;

- Une jeune fille qui va au bal, qui faute, tombe enceinte et n’arrive pas à prévenir le père du petit, parti faire le soldat en Afrique, de sa mésaventure à elle et de sa paternité à venir à lui. Même si les Alpes-Maritimes sont proches du lieu de l’action, la recette de la Pagnolade ignore cet ingrédient devenu capital chez tous les amoureux de la nouvelle cuisine feuilletonnière : le 06 ! ;

- Une Suzanne au bain ou plutôt « dans l’eau de la claire fontaine » Ce sera la sourcière bien-aimée ;

- Un voyeur : le rôle et la langue d’Ugolin sont tellement chargés qu’on pense au loup de Tex Avery, l’animal à poil noir, pas le poisson ;

- Un bâton d’explosif ;

- Surtout, très important, beaucoup de cet accent qu’on attrape en naissant du côté de Marseille.

Jeu 85 Manon des Sources Ferrandez 2

PRÉPARATION :

- Commencez par faire macérer tous ces ingrédients dans un paysage magnifique embaumant le thym, la lavande, le romarin et la farigoulette ;

- Assaisonnez avec du ciel bleu, des caractères emportés, enflammés, enthousiastes ou à l’inverse renfrognés, butés et taciturnes ;

- Faites cuire à part au soleil de l’Afrique le bataillon de soldats et le facteur négligent ;

- Gardez au frigidaire la vieille aveugle. Ne lui demandez surtout pas de vérifier si la lumière reste réellement allumée ou si elle s’éteint quand on ferme la porte du réfrigérateur.

- Sur un lit de rivière asséchée faites revenir la question du réchauffement climatique, des méga-bassines, du circuit court, du travail des femmes et de la bêtise des hommes ;

- Ajoutez l’explosif. Après la déflagration éteignez le Jean de Florette (le percepteur en burn-out) et transvasez tous les ingrédients dans une marmite plus vieille de cinq ans pour que la Pagnolade soit encore meilleure. La marmite du ragoût de mouton de l’Amélie peut très bien faire l’affaire.

- Laissez reposer une nuit ;

- Posez la vieille aveugle au sommet de la Pagnolade ;

- Servez sans faire de chichis avec des bruits de cigale, des parfums de nostalgie passéiste, de belle histoire d’amour et de littérature classique qui n’a pas oublié qu’on a disserté, le mois dernier, des jeux de l’amour et du hasard.

SOURCES

« Il faut toujours citer ses sources » comme disait ma professeur Manon Lescaut de l’Université de Cambrai-sur-Bêtise avant de devenir moins célèbre que sa petite-fille Julie. Cette recette d’histoire « à la mode de Marcel Pagnol » a été recueillie dans l’adaptation en bandes dessinées de M. Jacques Ferrandez dont nous avons fort apprécié le talent et le savoir-faire. Merci à lui.

 Joe Krapov



1 commentaire:

  1. Tout y est...
    C'est une recette longue et compliquée, mais qui se déguste avec tellement de plaisir qu'on oublie qu'il y a autant d'ingrédients.
    J'ai adoré l'histoire de Pagnol et j'ai adoré aussi ta "pagnolade"...aussi savoureuse qu'une ratatouille provençale.

    Et merci de m'avoir fait découvrir Jacques Ferrandez !

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