samedi 10 avril 2021

JEU 63 : "Eloïse" - Mary Grimoire

 

 Consigne ICI 

 


  Photo Benoît Courti
 


Eloïse



Dissimulée dans l’ombre de l’entrée, elle attendait sans un bruit. Le silence ne l’effrayait pas, au contraire, elle l’appréciait particulièrement. Loin du tumulte qui régnait habituellement à la maison. Loin de ses deux frères qui chahutaient bruyamment, de sa mère qui haussait le ton pour tenter de les calmer tout en s’occupant de la petite dernière, Cécile, née à la sortie de l’hiver. Loin des corvées qu’elle accomplissait chaque jour… Son père travaillait au fond des mines, elle le voyait peu. C’était un homme fort et doux qui aimait sa famille, elle l’aimait beaucoup et aujourd’hui était un jour spécial.
Aujourd’hui c’était son anniversaire. 
Elle voulait être la première à le lui souhaiter.
 
Alors elle s’était levée avant même le chant du coq, avant l’aube.
Discrètement, elle s’était glissée hors de la maison. Elle savait se déplacer de son lit de paille jusqu’à la lourde porte en bois, synonyme de liberté, sans éveiller le moindre soupçon…seul le vieux chat de la maison venait se frotter à ses jambes frêles.
Poil de Carotte avait un pelage tout roux, sauf une petite tache blanche autour de son œil droit. Il la suivait partout, comme un ange gardien. Peut-être parce que comme elle, il aimait s’échapper dans les champs ou les bois alentours, avide de grand air. Sans peur, elle avait rejoint l’orée du bois pour y cueillir quelques pâquerettes à la lumière de la petite lanterne qui trônait habituellement près du poêle. Elle connaissait par cœur le moindre recoin de cette campagne qui entourait la petite ville où vivaient tous les mineurs qui travaillaient pour M. Alfred.

Souvent, elle profitait de la quiétude avant l’aurore pour vagabonder dans les champs ou les bois sans que personne ne le sache…sauf son père qui comprenait son besoin de se sentir libre et son envie de s’enfuir dans la nature. Sa mère, si elle avait su, l’aurait grondée tant les bois et la nuit l’effrayaient. Oh, elle avait bon cœur malgré sa voix forte et son caractère colérique, mais jamais elle ne supporterait qu’il n’arrive le moindre malheur à l’un de ses petiots.

Dissimulée dans l’ombre de l’entrée, alors que le soleil commençait à pointer son nez à l’horizon, Poil de Carotte allongé à ses pieds, elle attendait patiemment que son père arrive. Il n’allait pas tarder. Son tour de nuit s’achevait dès que le premier rayon de soleil touchait le toit de la première maisonnette du quartier. Elle avait l’œil, la petite ! Depuis un mois, son père avait dû remplacer l’oncle Gaston : la jambe de ce dernier avait été prise sous un bloc de roche lors d’un éboulement à l’intérieur d’un boyau étroit. Il avait fallu trois bonnes heures pour réussir à le sortir de la mine. Du coup, le père d’Eloïse, c’était son nom à la petiote, travaillait double pour que la famille de son frère ne soit pas sans ressources. Son frère le lui revaudrait si un accident venait à lui arriver à lui aussi…Ils avaient toujours été soudés, les deux jumeaux Berbot.

Ereinté par des heures de travail à respirer la noirceur de la mine, il rentrait au lever du soleil, et repartait en début d’après-midi. Heureusement qu’il était de consistance solide tant physiquement que moralement. 
Eloïse voulait lui offrir un peu de réconfort avant qu’il ne s’allonge pour quelques heures de sommeil bien méritées.

Dissimulée dans l’ombre de l’entrée, elle entendit ses pas et ceux des autres mineurs qui résonnaient contre les murs gris de la rue. Un rayon de soleil vint se poser sur ses mains et les délicates pâquerettes. Elle leva les yeux. Il était là, devant elle avec son sourire, celui qu’elle aimait tant. Sans mot dire, elle lui tendit son bouquet timidement, les yeux brillants de tendresse. Son père la prit alors dans ses bras et l’embrassa sur sa joue toute fraîche. Puis ils rentrèrent, heureux de cet instant éphémère si intense dans leurs cœurs. 
La maisonnée s’éveillait, les petits frères d’Eloïse se chamaillaient déjà pour avoir le privilège de sauter dans les bras de leur père en premier, on entendait les pleurs de Cécile qui réclamait le sein. Le tumulte habituel reprenait petit à petit ses droits…La mère de famille avait préparé un délicieux gâteau au miel pour l’occasion, c’était le préféré de l’homme qu’elle chérissait. Tous s’attablèrent, les rires firent vite place aux cris. Puis le père d’Eloïse rejoignit la chambre et s’endormit, épuisé. La petite reprit ses corvées, la mère tentaient de calmer les jumeaux pour qu’ils ne réveillent pas leur père tout en préparant le linge à mener à la fontaine pour ce jour de lessive.

Eloïse rêvait déjà de sa prochaine escapade dans les champs…







3 commentaires:

  1. J'ai un chat roux...
    J'aurais pu (si j'y avais pensé) l'appeler "Poil de carotte" !

    Merci, Mary, pour ce texte plein de sensibilité, qui nous replonge dans l'univers sombre de la mine et de ses ouvriers...
    Il est vrai que la photo, avec ses tons sombres,
    pouvait orienter vers ce monde-là...

    Ta petite Eloïse est bien attachante...

    Bises (toutes propres)...:-)

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    1. Merci à toi ! Tu feras une caresse à ton chat de ma part ;-)
      Bises et à bientôt pour d'autres textes.

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  2. Que de tendresse ! Merci pour ce moment délicat.

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