dimanche 18 avril 2021

JEU 63 : "Poil de Carotte" - Célestine

 

 

 

Photo de Benoît Courti


 
 
Pour l'atelier de la Licorne
Et pour celui du Goût.
 .
 
 
 
 
 
Je veux de l’inutile, du majestueux, je veux des bustes en marbre 
sur des façades lépreuses, je veux des rues où l’on s’égare, 
un labyrinthe, un dédale, les chansons hurlées de mon quartier 
et les bars grands ouverts, je veux des dieux à triple visage
 et des allégories aux carrefours, 
je veux de l’inexplicable, de la légende et des dragons,
de vastes jardins et des gerbes d’étoiles, je veux Palerme...


Edmonde Charles-Roux
Oublier Palerme
 
 
 
 



 
 
Voilà la fougue. Voilà cette force vitale qui explose en soi. C'est Palerme.
Au fond de mes yeux d'enfant marchant pieds nus sur les galets de Nice, précoce, inconsciemment, je vivais déjà en moi les tiraillements entre deux fougues. L'Italienne et l'Irlandaise. Mes jambes traçaient des ponts imaginaires de la Toscane à l'Ulster, de Sophia Loren à Maureen O'Hara.

Dans mon sang, indissociables, coulent la lave rouge du Vésuve et et le sang noir du Connemara. Les indignations, les révoltes, les enthousiasmes de ces peuples fiers.
Je suis née brune à l'extérieur, mais résolument rousse inside. Avec seulement quelques éphélides sur le bout du nez. Ceux qui me connaissent bien savent mon goût pour ces landes vertes et ces falaises luttant contre la mer, et combien le soleil toscan, piqueté de cyprès, m'a éblouie l'an dernier. Bref, mes marraines les fées ont dû consommer de la substance hallucinogène, ou en tout cas illicite, juste avant de se pencher sur mon berceau, pour m'avoir ainsi dotée de ce  double tempérament, héritage lointain d'aïeules pas toujours commodes, sans doute. Un cadeau longtemps lourd à porter. Maintenant, j'en ris.

Il y a quelques années, je me suis essayée à la couleur rousse. Mon coiffeur a fait flamber ma crinière à tout vent, allumant des flammèches mystérieuses dans mon sillage. Ça m'a plu. J'ai décidé que j'avais été brune assez longtemps.
Une manche dans chaque camp, me suis-je dit. Si les brunes ne comptent pas pour des prunes, que dire des rousses ? Je veux dire, d'intelligent.
Je vous avais raconté comment, un jour de mauvaise lune, je m'étais fait traiter par un malotru, un minable crapaud de basse fosse juché sur une trottinette électrique,  de « sale rousse ». Ce fut ma première ostracisation pour cause de couleur de cheveu.  Ça vous marque une Célestine. 
Ce jour-là, j'ai ressenti l'espace d'une instant la détresse du petit François devant la méchanceté de la mère Lepic. L'espace d'un instant seulement, car si d'aventure vous (re)lisez cette mésaventure, vous verrez que je ne me suis pas laissée abattre par ce trait de fiel. Et que j'ai relevé la tête, telle la reine de Saba quand elle sort faire ses courses.

Pourquoi je vous raconte tout ça, moi ? Ah oui, parce que je suis là, dans ce café, à essayer de faire partir la tache de jus d'orange que le serveur a renversé sur ma jupe, subjugué sans doute par ma flamboyance capillaire inopinée. Alentour, comme souvent, du gris, du blond, du brun, du blanc.
L'autre rousse qui me sourit, là-bas,  c'est seulement mon reflet dans la glace. 
Je lui rends son sourire. Et je comprends soudain pourquoi je me sens si bien depuis que j'ai changé de vie.
Je n'ai plus de colère en moi. Cette colère noire et blanche qui m'a tenaillée si longtemps, a disparu, Comme un grand oiseau gris qui plonge dans l'écume. 
Le feu a eu raison de mes noirceurs de plume.
Voilà que j'alexandrise, moi... Je n'ai pourtant bu que du jus d'orange. Ah te voilà, mon amour.
Ça faisait si longtemps que l'on n'avait pas bu un verre dans un bar.
 
 
 
 
 
 





3 commentaires:

  1. Une roussitude si bien racontée. ton histoire est captivante, comme cette couleur de cheveux qui renferme bien des mystères, attirance pour les uns, maléfice pour d'autres.

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    1. Merci beaucoup jacou.
      Oui, c'est tout à fait cela. On a beau n'être pas "ses cheveux" il existe un fort poids de ce que l'on appelle l'inconscient collectif, et c'est particulièrement vrai au niveau de la roussitude, comme tu dis !
      Bisous Jacou
      •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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  2. laura vanel-coytte9 mai 2021 à 08:43

    une femme-paysage qui se relève

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